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savoir : en sa réalité politique, et dans la vérité de cette réalité ; non telle qu’il la lui faut, mais telle qu’elle est ; et, telle qu’elle est, elle est telle qu’il la lui faut ; c’est à lui de régler son jeu là-dessus. En commençant par le plus près, il apprend l’Allemagne, et que, pour son unité et sa grandeur, il n’y a rien à attendre de la Confédération, dont il touche et sonde les misères ; que c’est un sépulcre blanchi où la mort seule habite, et d’où la vie ne surgira pas ; que c’est une forme usée ou vidée, une enveloppe à la fois si lâche et si fragile que l’on ne peut la tremper en armure. Il voit que, des nations germaniques, tant bien que mal rapprochées en un assemblage hasardeux, ne sortira point spontanément, par l’effet d’une évolution intérieure et comme venant à maturité, une nation germanique ; que pièces et morceaux n’iront pas s’agréger et se fondre en un bloc, parce qu’ils sont inertes et ne se meuvent même pas du mouvement passif d’une attraction réciproque. Il voit qu’ils ne tiendront que poussés, pressés, taillés et maçonnés par l’ouvrier ; qu’il y aura à couler dans les joints un ciment atroce et sacré, dont il sait la composition, mais dont l’emploi n’est pas pour l’effrayer, lui qui croit que la fécondité de la force fait la vertu de la force, et la nécessité de la guerre, la justice de la guerre, là où la paix est impuissante et la patience stérile.

Ah ! ces ouvriers formidables qui bâtissent la demeure des peuples, quelle confiance ils doivent avoir en leurs plans pour qu’ils n’hésitent pas à les exécuter à ce prix ! Bismarck ignore ce que c’est que de douter, de se poser l’angoissante et paralysante question : « Suis-je bien sûr ? Ai-je bien le droit ? « Les plus grandes résolutions comme les plus petites s’offrent à lui sous forme d’impératif catégorique, et par cela même, dès qu’elles s’offrent, elles s’imposent : « Si l’Allemagne était une : il faut que l’Allemagne soit une ; » et tous les autres « il faut » se déduisent de celui-là. Il faut que l’Allemagne soit une, mais elle ne peut s’unifier d’elle-même : il faut donc que quelqu’un l’y aide ; mais elle ne s’aide pas du tout : il faut donc qu’on l’y oblige. Ce quelqu’un qui fera l’Allemagne ne saurait être que l’Autriche ou la Prusse ; mais ce ne sera pas l’Autriche : il faut donc que ce soit la Prusse. Cela, ne se faisant pas par l’Autriche, ne se fera point avec l’Autriche : il faut donc que cela se fasse contre l’Autriche. Une certaine rupture d’équilibre en résultera fatalement entre les puissances : les deux qui sont le plus intéressées, comme étant les plus voisines, sont la France et la Russie : il faut donc ou se les