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lourde de ces flots morts, entre les deux murailles aveuglantes de lumière où ils sont enfermés, superbes dans leur nudité farouche. Il me semble à des momens voir couler de l’eau ; je l’aperçois moirée, tremblante, ridée au vent, diaprée d’ombres violettes, qui sont les ombres des petites vagues de sable, immoiles. L’éblouissement du jour, la réverbération, me donnent des hallucinations étranges. Mais bientôt je me reprends et je ne vois plus que les sables, dans leur immobilité, leur abandon et leur silence. Et je rejoins la caravane au galop, laissant là ce cadavre de rivière dans la majesté de son tombeau.


Le plateau se déchiqueté de plus en plus ; de larges perspectives s’ouvrent sur les bas-fonds de l’Oued-Myâ, où dort Ouargla dans sa dépression surchauffée. Le spectacle est merveilleux de ces amoncellemens de fauves poussières, de ces falaises irisées, de ces déchirures, de ces découpages d’ombres.

Une fois dans les dunes, la marche est épouvantable, surtout pour le cheval qui n’a pas les larges pieds des chameaux et qui enfonce à chaque pas. Et pourtant, au Sahara, les dunes sont moins désolées que les stériles plateaux ; un peu d’eau dort sous les poussières et donne naissance à une rudimentaire végétation de rtem et de drinn, dont les touffes éparses sont broutées au passage par les chameaux.

Le soir, nous campons sur une vaste dune, très large et très aplatie. On l’appelle le Ghourd Mellala, et de là on domine d’immenses étendues de sables, tout rosés des derniers regards du soleil.


6 Octobre.

Nous n’avons plus qu’à descendre pendant quelques kilomètres pour être à Ouargla, où nous déjeunerons.

Debout avant le jour, nos hommes procèdent à leur toilette. Ces Arabes, si négligés et si sordides au désert, veulent faire une belle entrée dans la ville et ils sortent à l’envi des chéchias écarlates, des cordes neuves en poils de chameau, des bottes de cuir, des haïks de soie et des burnous d’une blancheur de neige.

On lève le camp au soleil levant. Je conserverai de cette matinée merveilleuse, si lumineuse, si limpide, sous le clair soleil du matin, un éblouissant souvenir. C’est une rapide descente à