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dirait que les chameaux s’en doutent ; serrés autour de l’abreuvoir, bassin de galets non maçonné, d’où l’eau suinte et vient humecter le sable qui l’absorbe en un instant, ils boivent avidement goulûment, bruyamment.

Zelfana est dans le lit de l’Oued-M’zab qui coule souterrainement sous les dunes que nous avons traversées hier soir. Mais nous allons encore quitter cet oued, qui fait trop de détours, comme peu pressé d’arriver dans les grandes régions de sable où il se perd.

Nous remontons sur le plateau. Encore un spectacle nouveau. La plaine sablonneuse s’étend à perte de vue, vaste nappe blonde, que pique çà et là le vert frais du drinn, qui est une sorte d’alfa et qui ressemble aux joncs de nos marécages.

Elle est bien fatigante, la marche dans ce sable, qui est à la fois croulant et glissant, et où les chameaux très friands de drinn sont difficiles à diriger et s’écartent constamment pour en cueillir quelques tiges du bout de leurs grosses lèvres charnues. Elle est un peu dangereuse aussi, car ce sable est la demeure des lefâa ou vipères à cornes, dont la morsure ne se guérit point.

Justement nous en apercevons une, de ces vipères à cornes, qui dormait engourdie dans le sable chaud et que le pas d’un chameau a fait lever. Les yeux injectés de sang, elle dresse furieusement sa petite tête surmontée de deux cornes ; de sa gueule ouverte coule une bave visqueuse. Un des sokhrars l’abat d’un coup de matraque et nous pouvons admirer sans crainte la méchante bête, si belle en son manteau d’or parsemé de taches d’argent.

Vers midi, on fait halte dans le lit d’un oued desséché où quelques buissons de tamaris plongent leurs racines dans l’eau souterraine. Qu’il fait bon, dans la pesante chaleur et l’éblouissant rayonnement des sables, de s’étendre à l’ombre sur le moelleux tapis où l’on enfonce comme en des coussins !


Tout l’après-midi étouffant, nous cheminons à nouveau sur le plateau sans limites. Et cette fois sous le ciel assombri et presque noir, c’est un océan figé de galets noirâtres, dont les cassures ont de bleus reflets métalliques. Une ligne, qui court droite, interminable, jusqu’au ciel lointain, coupe la plaine, tronçon de la future grande route d’Ouargla ; le sol, sur une largeur uniforme, a été simplement aplani et débarrassé de ses pierres, qui