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soit préoccupé d’améliorer une production dont le principal débouché allait précisément disparaître. L’effectif de l’espèce chevaline a pourtant beaucoup augmenté depuis le règne de Louis-Philippe et, quoique l’on s’en puisse étonner, il continue de croître. Il y a vingt ans, il s’élevait à 2 800 000 têtes ; il dépasse 3 millions aujourd’hui, dont 1 550 000 jumens. Si l’on pouvait comparer ces chiffres avec ceux de l’ancien régime, on demeurerait, je crois, stupéfait de la différence ; peut-être avons-nous actuellement trois fois plus de chevaux que sous Louis XV. Ils ont perdu d’anciens emplois et d’anciens maîtres, mais ils en ont trouvé de nouveaux et bien davantage.

Lorsque le cheval était l’unique moyen de transport, il en fallait, dans une maison de seigneur féodal, pour voiturer les gens, les bagages et les nouvelles. Quand « Monseigneur Gui de La Trémoille » part, en 1395, pour combattre les Turcs et qu’il fixe le budget dont sa femme aura la libre disposition, pendant son absence, il prévoit pour la nourriture des chevaux 500 litres d’avoine par jour. Une autre grande châtelaine, Yolande de Flandres, comtesse de Bar, avait, à la même époque, cinquante chevaux pour son usage et celui de ses enfans, dont « 2 palefrois pour le corps de Madame, montés par elle, 4 pour ses demoiselles, d’autres pour ses femmes de chambre, pour ses chars, ses chariots branlans, sa litière, pour ses chevaucheurs, ses valets, » etc. Espèces très diverses et pour lesquelles, au moyen âge, on avait des noms, indicatifs de leur emploi ; la langue s’est depuis lors singulièrement appauvrie : nous disons un cheval « de selle, » « d’attelage, » « de chasse, » « de charrette, » « de promenade, » lorsqu’on disait naguère un destrier, un roussin, un coursier, une haquenée, un sommier, un bidet, un courtaud, et chacun savait à quelle destination spéciale ces termes correspondaient.

Autre singularité : ce n’est pas dans les siècles qui ont immédiatement précédé le nôtre que les chevaux ont coûté le plus cher ; leurs prix, exprimés en monnaie actuelle, font ressortir les meilleur marché, de l’an 1200 à l’an 1600, à 200 et 250 francs pour des sommiers de boulangers, des limoniers de gros trait, des roussins de contrebandiers. Sous Louis XIV et Louis XV, on trouve, pour de moindres sommes, des animaux de bât, de labour et même de selle ; un bidet de commissaire des guerres ne revenait pas à plus de 150 francs. De même pour les bêtes de qualité moyenne : celles des carrosses de Gabrielle d’Estrées ou du duc