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capitaux dans l’industrie. La spéculation s’en mêle à un moment donné : l’exemple des hausses rapides survenues dans la cote de certaines actions enflamme les imaginations ; on mesure les étapes qu’on croit encore atteindre d’après celles qui ont été déjà franchies ; on n’aperçoit plus de limite à la hausse des produits, au développement des marchés, à l’ascension des cours. Il arrive que les revenus des actions industrielles soient inférieurs à ceux des fonds d’Etat que l’on a vendus ! Mais on ne calcule plus les dividendes passés, on escompte ceux que l’avenir promet ou plutôt ceux qu’on rêve le voir apporter. Et c’est alors que, par l’évolution naturelle d’un cycle dans lequel se meut le monde financier, les valeurs de placement dépréciées redeviennent tentantes pour l’épargne, qui y trouve un revenu stable, relativement élevé par rapport à ce qu’il était devenu au moment culminant de la hausse de ces valeurs, et qui y cherche un refuge après les émotions que lui ont causées les actions industrielles. En un mot, c’est toujours, sauf la fraction annuelle dont il s’accroît par l’épargne, le même argent qui sert aux transactions humaines et qui détermine la hausse de certaines catégories de valeurs ou de marchandises sur lesquelles il se porte, et la baisse de celles qu’il abandonne en même temps.

Il faut avoir toujours présens à l’esprit les risques inséparables des entreprises, auxquelles, à de certaines époques, le public est peu disposé à s’intéresser, et dans lesquelles, à d’autres momens, il se jette avec furie. N’y eût-il d’autre élément d’incertitude que le cours des matières premières et le prix de la main-d’œuvre, que la nécessité d’une grande prudence dans l’évaluation des résultats s’imposerait. Sait-on, par exemple, qu’en 1899, la hausse des charbons pourra augmenter de plus de 20 millions de francs les dépenses de chemins de fer français ? Combien de données interviennent dans le coût d’un produit fabriqué, dans ce prix de revient qui est la résultante d’innombrables facteurs ! Déjà aujourd’hui, les chefs de grandes entreprises recommandent la modération et rappellent qu’aux époques de prospérité comme celle que nous traversons, et que les Allemands nomment Konjunktur (conjonction des circonstances favorables), il convient de fortifier les réserves, d’améliorer la situation financière, de doter la trésorerie : il faut prévoir l’inévitable retour en arrière, et être prêt à supporter les dépenses énormes que les évolutions si rapides de l’industrie imposent aux établissemens jaloux de conserver