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vivement le public par les Baigneuses, les Demoiselles de Village et les Casseurs de pierres. Comme c’était prévu, l’art se démocratisait, il descendait vers les simples, mais il se rapprochait de l’âme de la création. Il poussait aussi à l’individualisme. On appelait cela le naturalisme. Nous verrons plus loin que l’isolement devant la nature entraîne les uns vers l’impasse du matérialisme, et les autres, ceux à qui la recherche des causes fait entrevoir la puissance créatrice, vers l’infini du rêve.

Les Salons vont offrir une plus grande variété. Beaucoup de jeunes, de nouveaux venus : Bida, Cabanel, Barrias, Benouville, Comte, Langée, Bodmer, Auguste Bonheur, Mme Henriette Brown, Berchère, Hédouin, Toulmouche, Bellel, Yvon, Pils, Protais, Feyen-Perrin, L. Belly, et autres. Tous les peintres dont je viens de parler prirent part à l’Exposition universelle de 1855. Nous y arrivâmes timidement avec une toile qui nous valut notre première récompense : des Glaneuses, sujet que je croyais vieux comme le monde et auquel l’on voulut bien prêter quelque nouveauté. Elles venaient deux ans avant celles de Millet, qui datent de 1857.

Oh ! cette Exposition universelle de 1855 ! cette première grande victoire de l’Ecole française ! Quel attendrissement que d’y penser ! Ils étaient là, tous les maîtres que nous venons d’admirer ; plusieurs représentés par de vrais chefs-d’œuvre. Comme c’est loin de nous ! Comme la France était fière ! Quelle acclamation unanime de la part des étrangers ! Et quelles ovations attendaient ceux d’entre eux qui reportèrent des couronnes dans leur pays ! Je revois encore mon ami M. Leys rentrant dans sa bonne ville d’Anvers, reçu par le Roi qui le nommait baron ; et, lorsque je le félicitai, c’est en pleurant de joie qu’il m’embrassa en me disant : « Vive votre noble France ! »


JULES BRETON.