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du sujet ; et combien le recueillement d’ensemble qui plane sur les épisodes de douleur navrante, d’horreur égoïste et d’indifférence devant la mort les eût enveloppés d’une gravité plus solennelle, si l’œil du spectateur n’était involontairement attiré par l’indécence sceptique des trognes envermillonnées des chantres ! Oui ! c’est complaisamment qu’il a étalé ces outrances, qui n’avaient pourtant rien de nouveau après Daumier. Elles se sont d’ailleurs calmées, et l’Enterrement à Ornans, moins fantasque qu’un Goya, moins limpide qu’un Velasquez, dort au Louvre dans cette paix des vieux tableaux où se devinent à peine tant de controverses et de passions éteintes, mais où il porte toujours la tare bien inutile de ses trivialités.

Plus tard, le peintre d’Ornans suivra le mouvement qui entraîne la jeune école vers la peinture du plein air, c’est-à-dire vers celle qui a pour but d’exprimer les objets tels qu’ils se présentent sous une large surface de ciel, enveloppés, par grands plans, de demi-teintes et de lumière errante et diffuse. Les ombres véritables ne s’y rencontrent que dans les trous. Encore faut-il tenir compte du voile plus ou moins transparent de la couche d’éther. Cet effet donne des modelés simples et laisse aux valeurs relatives des teintes leur intégralité que contrarie la vive lumière du soleil. Ses colorations varient à l’infini, sous l’influence des changeans nuages et des irisations crépusculaires. Si Courbet eut, dans ses études en plein air, des hasards heureux, il ne posséda jamais la science de cet effet magique, et les erreurs de cette ignorance abondent dans ses tableaux.

Son paysage des Biches, au Louvre, est d’un beau ton trouvé par taches fortuites, au petit bonheur du couteau à palette, à force de laisser-aller. Les valeurs relatives n’y sont pas observées, et de loin bêtes et rochers se confondent. Je ne lui en fais par un reproche, en cette occasion, parce qu’il s’est livré à une belle envolée de tempérament, et qu’il y a des rencontres instinctives qui valent mieux qu’une froide sagesse. Mais cette ignorance, cette négligence qui lui réussissent çà et là, l’ont souvent entraîné dans les gâchis les plus insignifians. Hélas ! notre beau jeune homme, que je comparais à un pâtre chaldéen, ne tarda pas à s’alourdir, et sa suffisance et sa vanité s’épaissirent aussi. Il finit par confondre, dans un même orgueil, sa vaillance de maître du pinceau et celle de beau buveur de chopes. A force de triompher au mi- lieu de sa cour, dans les cliquetis et la fumée des tabagies, il fut