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exposa à Gand, où j’étais élève de Félix Devigne, une petite toile représentant Hérodiade accompagnée d’une suivante et qui, la main appuyée sur le socle où repose la tête blême de saint-Jean Baptiste, jette au spectateur un long regard très mystérieux, très loin de la haine, mais implacable. Et ses yeux étaient si troublans que je ne pouvais en détacher les miens. Pendant plusieurs jours ce fut une hantise. Vingt fois je dessinai de souvenir cette femme étrange. Elle me revint à l’esprit, lorsque, longtemps plus tard, je lus cette nouvelle de Flaubert qui insinue que sa férocité cachait une rage d’amour. J’ai revu cette toile qui continuait à passionner ma mémoire ; elle est au musée de Cologne. Je fus étonné de la trouver si froide.

L’œuvre capitale de P. Delaroche me semble être l’Hémicycle de l’école des Beaux-Arts. Les défauts du maître, ici, se rachètent par une belle ampleur, une austérité qui sauvera son nom de l’oubli.

Digne comme son art, Delaroche dominait son entourage. Toujours correcte et mesurée dans sa logique d’attitude, sa réserve cachait un cœur dévoué aux siens et à ses élèves, qui l’adoraient et qui, témoins Gérôme et Hébert, ont conservé pour sa mémoire une pieuse vénération. Sa belle tête régulière, un peu hautaine, le front aux larges plans, séparé au milieu par une mèche de cheveux tombante, sa bouche fine et accentuée, son profil aquilin, rappelaient Napoléon Ier. Il professait d’ailleurs une très vive admiration pour ce héros auquel il consacra plusieurs compositions, entre autres celle des Adieux de Fontainebleau. Le peintre s’inspirait du grand homme, mais l’homme chez Delaroche restait profondément libéral. Hébert m’a conté un fait qui le prouve.

Dans les premiers temps du second Empire, Napoléon III, ayant appris l’admiration de Paul Delaroche pour son oncle, lui envoya M. de Persigny chargé de lui offrir une importante commande : celle de décorer les salles à l’intérieur de l’Arc de Triomphe, par l’apothéose du grand Empereur. Le ministre, très aimable, se présenta au peintre avec des marques de grand respect, escomptant, de sa part, un chaud empressement à accepter sa proposition, Delaroche répondit simplement : « J’y réfléchirai et je vous écrirai, » M. de Persigny, très étonné, se retira en accentuant ses protestations de déférence et en disant : « Je ne doute pas qu’après réflexion, vous acceptiez de faire ce plaisir à l’Empereur. » Voici la réponse du maître, que les supplications du jeune