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de jeunes rapins. Je tremblais de respect lorsqu’il arriva à moi pour corriger mon dessin et j’étais si troublé que je ne compris pas la moitié de ce qu’il me dit ; il parlait, il est vrai, avec une volubilité extrême, au point de bredouiller. Le modèle était assis sur une caisse en planches, que j’avais négligée, me contentant de tracer un simple carré. Il me le reprocha et il me dit : « Pourquoi n’avez-vous pas fini cette caisse ? est-elle moins intéressante que cette cuisse qui se pose dessus ? Il faut savoir tout faire. » Je ne réfléchis pas alors combien cette impartialité pour le rendu de l’imitation expliquait la vulgarité du peintre ; car ce qui me ravissait en lui, moi naïf, c’était justement cette sorte d’illusion qu’il apportait à tout objet : à la robe lustrée d’un cheval, à la sueur qui écume sous son harnais ; au raccourci d’un fusil qui vise le spectateur ; à la charge de cavalerie qui semble fondre sur lui. Ce sont là des qualités plus ou moins ingénieuses et amusantes, mais de bas étage en art et d’autant mieux à la portée des passans d’alors, mais qui aujourd’hui n’étonnent plus personne, depuis que tout le monde connaît l’extraordinaire exactitude de la photographie instantanée.

Cependant Horace Vernet connut bien le pioupiou ; il le vit du même œil que le public ; il l’aima, et la France lui en sera toujours reconnaissante. Il en fut l’historien d’ordonnance vif et spirituel. Mais il est démodé pour les artistes, tandis que Raffet ne vieillit pas, car il a donné aux soldats plus que l’apparence ; il a rendu leur caractère, leurs emportemens héroïques, leurs souffrances et leur bonne humeur. De même pour Charlet, dont la Retraite de Russie a pris, de nos jours, plus d’importance, dans sa petite dimension, par sa poignante allure épique, que les kilomètres de toile d’Horace Vernet.

Je n’en revois pas moins toujours avec plaisir son Assaut de Constantinople. C’est son meilleur tableau.

Quant aux sujets bibliques ou d’histoire anecdotique auxquels il s’est complu, il faut avouer que c’est banal de forme et de couleur. C’est avec regret que j’ai été forcé d’abjurer, parmi beaucoup d’autres illusions plus chères, l’admiration de ma première jeunesse pour Horace Vernet. J’ai longtemps espéré en retrouver une partie, à mes visites à Versailles. C’eût été pour moi une douceur. Mais le prisme était brisé. Il en est de même pour sa dynastie, dont une inopportune exposition réunissait tout récemment les œuvres au quai Voltaire. Il eût mieux valu s’en abstenir,