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pas détruits et ne tardaient pas à renaître tempérés sous l’influence de mœurs plus douces.

Le romantisme, réveillé par la Révolution de 1830, commence bientôt à décliner, et, tandis que l’influence grecque se continue parmi les élèves d’Ingres, voici qu’à la suite des paysagistes, l’École française se tourne vers les scènes de la vie rustique et populaire. A l’amour de la Nature pour elle-même, pour ses sourires, pour ses tendresses, pour ses orages, pour sa beauté, on associera désormais plus intimement les êtres. A l’admiration de la terre se mêleront la piété de la glèbe, la gratitude pour le sillon nourricier, la pitié du pauvre.

De 1830 à 1848, ce fut comme le pressentiment d’une ère fraternelle. L’attrait du pittoresque ne suffit plus, on veut une expression plus attendrie où les yeux soient moins indépendans du cœur ; et aussi quelque chose de grand et de biblique. On perçoit, dans la création plus auguste et plus familière à la fois. comme la présence occulte du Créateur. Et l’on comprend que l’homme, dans son association plus étroite avec la terre, gagne en noblesse et en fierté. Les paysages seront simplifiés, mais on les revêtira du prestige infini des effets les plus variés ; on les animera par les travaux, les poèmes et les tragédies de la vie. Les décors ne seront plus ces ruines surannées qui ont tant charmé nos grands-pères, théâtre obligé de leurs pastorales. Car autre fois, sous la Régence et plus tard aussi, on avait aimé les pastorales, mais par antithèse à la corruption régnante, comme ragoût de travestissement et raffinement voluptueux ; façon de recouvrir d’une apparence naïve les grâces mièvres et l’afféterie obscène de courtisans blasés, qui trouvaient piquant de déguiser leurs marquises en bergères enrubannées. 1848 aima les pastorales dans leur simplicité et leur verdeur. On était loin de Parny et de Saint-Lambert : Pierre Dupont chanta les Bœufs et le brouillard qui sort de leur naseaux, mêlé à la buée matinale. On aima la terre pour sa fécondité ; on l’aima pour tout de bon, avec ses gens, ses bêtes et son fumier. 1848 eut de vrais élans de cœur vers le peuple, vers les peuples ; élans désintéressés, et non, ainsi que trop souvent aujourd’hui, calculés pour exploiter les masses ou se servir des étrangers comme auxiliaires même dans les luttes entre artistes : ce fut un mouvement général de vraie fraternité.

Mais l’étude plus approfondie de la beauté des humbles choses devait mener à la compréhension de la beauté des humbles gens.