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la délicate réserve d’un très galant homme. Et en effet, c’est à la Reine, c’est à son ingérence personnelle dans le fonctionnement de la machine parlementaire dont elle entrave, dont elle fausse les ressorts, c’est à elle, bien plus encore qu’à ses ministres d’un jour, qu’il s’attaque. Cependant parcourez cette longue suite d’articles : vous n’y trouverez pas un seul trait hasardé, qui pût blesser la femme en visant la souveraine. Il y a certes, dans ces polémiques, de furieux accens de colère ; mais la malignité, mais l’aigreur, mais la raillerie sèche et haineuse en sont absentes. Cet esprit généreux regarde de haut et de loin, contempteur de tout ce qui est petit et vulgaire. Comme il sent fortement, il s’indigne de même, et cette indignation jaillit alors avec une effrayante audace ! J’en pourrais citer comme exemple les philippiques que Castelar lançait contre le maréchal Narvaëz. Je sais bien que nous sommes en Espagne, où les mots pèsent encore moins qu’ailleurs ; je ne crois pas cependant que l’imprécation politique y fût allée jamais aussi loin que dans tel article, tranchant comme un glaive, dont il saluait le retour aux affaires de ce ministre détesté : «... Comme la boue salit, comme le poison tue, ainsi Narvaëz déporte et fusille. Pour l’instant, les hommes qui l’entourent s’emploient à le laver de tout le sang des libéraux dont il est couvert des pieds à la tête ; mais la Providence peut plus que la volonté des hommes, et Narvaëz ira à la dictature et aux vengeances comme la pierre va vers le sol... Narvaëz est incorrigible ; sa politique ne peut pas s’amender. Mais, nous aussi, nous sommes incorrigibles dans notre haine contre lui. Général ! les hommes que vous destinez aux Philippines jurent de vous exécrer toujours et, ce qui pour vous est pire, de ne vous craindre jamais ! »

Le scandale était grand. Le ministère redoublait de rigueurs ; les amendes pleuvaient sur la Democracia. Mais son directeur était homme à tout souffrir comme à tout oser. Le ministère, alors, essaya d’atteindre le journaliste dans le professeur. Une circulaire adressée aux recteurs des Universités du royaume déclarait, et certes avec raison, incompatibles l’exercice du professorat public et la direction d’un journal d’opposition (il eût suffi de dire : d’un journal politique). La mesure était dirigée contre Castelar. Il répliqua que, « journaliste en vertu de la constitution, qui consacrait la liberté de la presse, professeur en vertu de cette même constitution, qui garantissait l’admissibilité de tout Espagnol