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en présence de ces farouches barbares, domptés par de pauvres solitaires, ne trouvons-nous pas là un grand enseignement ? Qu’avaient-ils donc en eux pour obtenir ces prodigieux effets ? Ah ! ils avaient la foi dans une idée, et qui a la foi dans une idée triomphe toujours ! Le doute et le plaisir auront toujours leurs ministres ; mais le doute et le plaisir n’auront jamais de martyrs. Messieurs, pour atteindre à un but, pour traverser la mer orageuse de la vie, il est nécessaire de s’embarquer sur le navire de la foi ; là vous n’avez à craindre ni les écueils ni les tempêtes. C’est ce navire que montait Colomb, et, au bout de son voyage, il rencontra un nouveau monde. Et quand ce nouveau monde n’eût point existé, Dieu l’aurait fait surgir des solitudes de l’Atlantique, pour récompenser la foi et la constance de cet homme ![1] »

Ce n’est qu’une traduction ; et d’ailleurs le texte lui-même de ces leçons, qui furent si vivantes, qu’est-il autre chose, pour nous qui les lisons aujourd’hui, à plus de trente-cinq ans d’intervalle, qu’un torrent de lave refroidie ? Mais essayez, par l’imagination, de les replacer dans leur cadre ; transportez-vous en idée au milieu de cet auditoire frémissant ; animez-la, cette éloquence, par le regard de l’orateur, par son geste passionné, par son accent de tribun et d’apôtre, par tout ce qui compose l’attrait mystérieux que la vive parole exerce sur les âmes, et vous pourrez comprendre ce que furent ces nobles fêtes de l’esprit qui ont marqué leur date dans l’histoire de l’Espagne nouvelle.

Epoque fortunée dans la vie de Castelar ! Il avait traversé des jours difficiles ; il en était sorti par le labeur sans trêve de son facile génie. A vingt-six ans, il était célèbre, et il jouissait délicieusement de ces premiers sourires de la renommée, lorsqu’un malheur, le plus cruel sans doute qui pût l’accabler, le frappa soudain ; il perdit sa mère dans l’été de 1859. Le coup fut terrible ; il tomba malade et demeura pendant de longs mois abîmé dans son désespoir. A la fin, sa forte nature réagit ; il reprit la plume. « La douleur, écrivait-il, que j’ignorais auparavant, possède tout mon être et n’y laisse point de place à la pensée. La vie de ma mère, qui était ma vie, s’est éteinte, et plus rien ne me rit en ce monde dépouillé, à mes yeux, de félicité et d’espérance. Mes lèvres ne savent plus que murmurer des prières ; mon cœur souffre, mon esprit songe à l’éternité et à la mort. Les flots

  1. La Civilizacion, t. IV, Leccion primera.