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Et d’abord il excelle à développer ce que les vieux rhéteurs appelaient les lieux communs, prenant le terme en bonne part. La liberté, la religion, la patrie, l’Italie, la Grèce, un de ces mots, un de ces noms qui évoquent tant de souvenirs vient-il à frapper son imagination, aussitôt jaillissent les aperçus, les sentimens, les innombrables réminiscences, et le torrent se précipite. Tous les discours et tous les écrits de Castelar sont émaillés de tirades brillantes, qui ont le tort de n’être, au fond, que des amplifications oratoires, coulées dans un moule, toujours le même, et dont le relief, à force d’avoir servi, semble un peu usé. Et, en effet, rarement la pensée se détache précise, à angles vifs. Le trait est émoussé et comme enveloppé des molles périodes redondantes. C’est l’ensemble qui vaut, par le mouvement général, par l’intention, par l’effort de l’orateur, par ses dons séduisans, sa personnalité qui s’y prodigue, et la vie intense qui y déborde ; l’originalité, — et certes elle existe, — ne la cherchez pas dans les nuances ni dans le détail ; elle est en quelque sorte une résultante. C’est pourquoi il est difficile d’apprécier le talent de Castelar par de courts extraits. Comme il ne condense jamais sa pensée, pour lui rendre pleine justice, il le faut suivre dans le cours de ses amples improvisations. Et l’on finit alors par ressentir les mêmes émotions qui transportaient les auditeurs, j’allais dire les spectateurs de ces leçons, quand ils voyaient le prodigieux virtuose, pareil au chanteur consommé dans l’art de diriger et de prolonger les modulations de sa voix, se lancer dans une de ces triomphantes périodes qui, dans son livre, remplissent parfois une suite de pages. Et quelles formidables énumérations ces périodes supportent sans fléchir ! L’orateur a, pour les recevoir, des cadres tout préparés : un parallèle, ou un tableau d’ensemble, ou un portrait historique[1].

Mais son procédé favori est la démonstration par de vastes synthèses historiques, où, embrassant du regard une longue série d’événemens, il suit, à grands coups d’ailes, la marche des

  1. Par exemple, le portrait d’Alexandre-le-Grand, en tête de la leçon sur la philosophie alexandrine. — Les quatre volumes de la Civilizacion n’ont pas été traduits en français. Il en est de même des autres publications de Castelar, à l’exception de quelques discours isolés, et des Souvenirs d’Italie dont une traduction a paru, en 1873, sous ce titre l’Art, la Religion et la Nature en Italie ; Paris, 2 vol. Cette traduction est exacte, mais trop littérale ; elle ne rend pas l’impression d’élégance et d’harmonie. Je n’ai pas cru devoir en faire usage pour les extraits que je donne de ces Souvenirs.