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et superficielle : plantes de serre chaude, que les politiciens s’évertuaient à cultiver pour leur plus grand profit. La vérité est que les Espagnols ont reçu nos idées toutes faites, et les ont tour à tour ou presque en même temps essayées. L’idée démocratique a été du nombre. Ils ne prirent pas le temps d’ajuster à leur taille cet habit d’emprunt. La démocratie espagnole est une leçon apprise dans les livres français.

On le voit, le parti nouveau existait dès avant 1848. Entre le groupe des progressistes dont il semblait une fraction détachée et la bande des exaltés vulgaires, il formait un petit bataillon qui s’accrut assez vite. Mais ce ne fut guère qu’après Vicalvaro[1], au cours de la révolution de 1854, que le parti commença de faire figure, et se distingua des autres en adoptant l’idée républicaine. A la vérité, ce mot de république sonnait alors étrangement aux oreilles espagnoles. Les plus ardens, parmi les combattans des rues, n’y songeaient guère. Le torero Pucheta, qui, durant ces journées, fut une sorte de puissance, n’entendait point cette nouveauté française, non plus que le peuple de Madrid, qui ornait les barricades des portraits de la Reine. Un homme ayant crié sur une place : Vive la République ! la milice nationale le tuait à coups de fusil. C’était une tâche assez redoutable de vouloir convertir cette nation à un principe que la populace même des grandes villes, — à l’exception de Barcelone, — n’admettait pas encore. Castelar l’entreprit.

Il trouvait la doctrine déjà fixée dans ses grandes lignes. Il s’agissait de la propager. Ce fut proprement sa mission. Esprit moins inventeur que vulgarisateur, son œuvre fut avant tout une œuvre de propagande. Dès le premier jour, il s’empare du faisceau d’idées et ne cesse d’avancer, prêchant et luttant, sans fléchir. De 1856 à 1866 il est, selon le mot d’un de ses biographes, « la langue et le cœur de la démocratie, » d’une démocratie à la fois très républicaine et très nettement antisocialiste. Il a reçu le programme du vieil Orense comme un dogme ; il n’y changera rien d’essentiel. Mais il va le commenter et le développer de cent manières, l’animer de sa foi d’apôtre, l’embellir de son enthousiasme de poète, l’illuminer de tous les feux de son prestigieux talent.

  1. Vicalvaro est le nom de la localité où la cavalerie entraînée par O’Donnell et les troupes qui étaient demeurées dans l’obéissance se livrèrent bataille quelques jours après le pronunciamiento du 28 juin 1854. O’Donnell et ses partisans en furent appelés Vicalvaristes, et le surnom leur est resté.