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Dans la matinée du 28 juin, la cavalerie qui tenait garnison à Madrid se soulevait, entraînée par le général O’Donnell. Ce n’était d’abord qu’un pronunciamiento. Le peuple de Madrid en fit une révolution ; — révolution manquée, mais non pas stérile, si l’on considère qu’elle a donné naissance à deux partis nouveaux : l’Union libérale qui allait gouverner l’Espagne pendant plus de dix ans, et le parti démocratique qui entrait en scène, portant déjà sous son manteau un engin formidable, l’idée ou le mot de république.

Emilio Castelar saluait ces nouveautés avec la confiance d’une âme de vingt ans. Durant les journées orageuses où tout Madrid était sur pied, s’agitant, pérorant, le jeune normalien se mêlait à la foule et entrait dans les clubs, avide de parler. Mais sa délicatesse répugnait aux excès du langage qui charme le populaire, et chaque fois il s’en allait sans avoir pu se décider à prendre la parole. Cependant les clubs ne tardèrent pas à être fermés ; à leur place vinrent les réunions électorales, qui n’étaient pas encore ce qu’elles sont devenues dans la suite. Il s’y révéla le 22 septembre 1854, — date mémorable dans l’histoire du parti républicain en Espagne.

Ce jour-là, une réunion se tenait au théâtre de Oriente. Les démocrates l’avaient organisée pour répondre à un manifeste de l’Union libérale, le grand parti créé par O’Donnell. Mais ils étaient privés de leurs chefs. Orense avait dû s’enfuir à la suite de la révolte des Basilios. Rivero avait accepté le poste de gouverneur de Valladolid. Les orateurs manquaient ; la séance traînait ; déjà la foule gagnait les portes, lorsqu’un jeune homme, presque un enfant, paraît à la tribune. Sa taille est petite, sa voix grêle ; quel est ce nouveau venu ? Pourtant sa voix peu à peu domine le bruit ; cet inconnu s’impose ; on se rassied, on écoute ; bientôt les applaudissemens éclatent de toutes parts. L’orateur, transporté par cet enthousiasme, verse dans son discours le flot d’idées, d’images, de sentimens qui bouillonnent en lui, et, à chacune des amples périodes qu’il déroule, les acclamations l’interrompent. Il veut s’arrêter ; la foule l’adjure de parler encore. Enfin, lorsqu’il descend de la tribune, c’est une immense ovation dont la nouvelle se répand dans la ville. Castelar, en entrant au théâtre de Oriente, n’était qu’un étudiant obscur ; il en sortait célèbre. Il avait conquis la renommée en une heure.

Le lendemain, les journaux publiaient son discours, et dès lors commençait le concert de louanges qui n’a cessé depuis de