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VICTOR CHERBULIEZ[1]


Messieurs,

Quoique cela ne se fasse guère, et qu’une espèce de pudeur, ou de discrétion, nous empêche ordinairement de mêler, à l’expression d’un deuil public, celle de nos sentimens personnels, je ne saurais aujourd’hui me retenir de dire, tout haut, et avant tout, de quel coup m’a frappé la mort inattendue de Victor Cherbuliez. C’est qu’en effet, à l’âge où l’on cherche sa voie, nul ne m’avait jadis donné, plus simplement, de plus sages, de plus sûrs, ni de plus affectueux conseils. C’est que depuis vingt-cinq ans son ingénieuse amitié, non seulement ne s’était pas une fois démentie, mais elle m’avait, en plus d’une circonstance difficile, soutenu, encouragé, guidé. C’est enfin que, si je n’avais pu lui en témoigner ma reconnaissance qu’en prenant ma part de tous ses succès et de tous ses chagrins, il n’avait rien épargné, lui, pour me faire croire que je m’étais acquitté de ma dette. Mais je ne m’étais point laissé persuader. Je m’étais seulement fait de ma gratitude un plaisir autant qu’un devoir, et s’en était-il aperçu ? je l’espère ; mais, si j’avais pu douter de la nature de mes sentimens, je l’aurais reconnue. Messieurs, moins encore à la tristesse qu’à l’étonnement et à la stupeur où m’a jeté la nouvelle de sa brusque disparition.

Je voulais le dire, je tenais à le dire, avant de parler de l’écrivain et du collaborateur de la Revue des Deux Mondes.

Car pourquoi, dans les discours que nous prononçons sur une tombe, pourquoi nous ferions-nous scrupule de mettre quelque chose

  1. Discours prononcé aux obsèques de M. Victor Cherbuliez, le 4 juillet 1899.