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et par d’autres biographes, faisaient très vivement désirer une publication plus complète de leur correspondance.

À cette publication, M. de Seydlitz a joint encore toute la série de ses souvenirs, s’étendant sur une période de plus de dix ans. Mais ni les souvenirs, ni les lettres, ne nous apprennent presque rien qui vaille la peine d’être su. Tout au plus pouvons-nous citer, parmi les lettres, celle où Nietzsche annonce à son ami l’envoi de son Cas Wagner. Elle est d’autant plus curieuse que, dix ans avant de l’écrire, Nietzsche avait dit à M. de Seydlitz, tout en lui avouant qu’il avait cessé d’être wagnérien : « Que le ciel nous garde de céder jamais à la tentation d’écrire des pasquilles sur nos amis ! Nous avons, pour les écrire, plus de matière que les ennemis : mais par cela même nous devons prendre garde à n’en point user. » Nietzsche avait, incontestablement, plus de « matière » qu’aucun ennemi de Wagner pour écrire un « pasquille » sur son ancien ami. Il finit par céder, comme l’on sait, à la « tentation ; » et voici en quels termes, — bien loin, cette fois, de s’en excuser, — il s’en glorifiait devant M. de Seydlitz : « J’ai produit, ces temps derniers, quelques joyeusetés. L’une d’elles, que je prends la liberté de t’envoyer ci-jointe, s’appelle le Cas Wagner, un problème musical. (Les méchantes langues diront : La Chute de Wagner.)[1] On dit que Bülow, lui aussi, est en train de s’exercer sur le même sujet. Et le fait est que, tous deux, nous avons quelque peu vécu derrière les coulisses ! »

Dans une autre lettre, écrite en mai 1888, Nietzsche annonce à M. de Seydiitz qu’il vient de « découvrir » Turin : sur quoi il commence une longue et enthousiaste description de la capitale piémonlaise, célébrant sa situation, son « zéphyr », la fraîcheur de ses nuits, son théâtre (où l’on joue Carmen), ses cafés, sa bibliothèque et ses librairies. « Siège de l’état-major général, » ajoute-t-ll, dans son énumération des avantages de Turin, qui du reste, je dois bien l’avouer, est rédigéo presque tout entière en style de Guide-Joanne.

Quant aux souvenirs de M. de Seydlitz, le seul qui ait de quoi nous intéresser est le récit d’une conversation où le futur auteur de l’Antéchrist nous apparaît défendant le catholicisme contre « les calomnies, non seulement stupides et ignobles, mais nuisibles, mises en circulation dans les pays protestans. » Tout le reste n’est que détails oiseux, descriptions de rencontres, de séjours en commun, de séparations, sans

  1. Il y a ici un de ces jeux de mots que Nietzsche aimait, et où d’ailleurs il excellait. Der Fall Wagner signifie le Cas Wagner ; Der Fall Wagners voudrait dire la Chute de Wagner.