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trouve alors qu’elle rend service à sa fille, en exigeant qu’elle soit mariée sous le régime dotal. Plus tard, quand George Sand publie des romans, Sophie-Antoinette lit dans les journaux les critiques malveillantes, les insinuations perfides, croit à tout ce qu’elle a vu imprimé, arrive chez sa fille avec ce ramassis dont elle lui fait honte ; après quoi elle lit le roman, le déclare sublime et traite d’infâmes tous ceux qui ne seraient pas de son avis. Chaque fois, la même scène recommence. Elle est incorrigible, comme tous ceux qui présentent un type complet et qui remplissent leur définition.

Entre ces deux femmes, on devine quelle fut la situation de l’enfant obligée de dédoubler son cœur, de partager ses sympathies, entendant railler ici ce qu’elle entendait approuver ailleurs, et quel retentissement ces luttes pouvaient avoir dans une âme point encore formée. D’avoir vu certaines personnes entourées d’une vénération unanime, certaines idées acceptées de tous et placées au-dessus de la discussion, cela prédispose à subir, alors même que nous en souffrons, les nécessités sociales. Moins que toute autre, Aurore avait pu avoir la sensation de quelque chose qui se continue à travers la famille, et qui est supérieur aux fantaisies individuelles. Ajoutez qu’elle appartient à une famille d’un caractère tout à fait particulier et justement remarquable pour la profusion de ses unions et de ses naissances illégitimes. Dans la descendance d’Auguste II et de la belle Aurore de Kœnigsmark, il y a une véritable cascade de bâtardise : les pères et les mères ont chacun de son côté des enfans de provenance irrégulière ou inconnue, les frères et les sœurs naturels vivent sous le même toit que les enfans légitimes, les maris et les femmes adoptent les enfans les uns des autres : Aurore a un demi-frère Hippolyte, une demi-sœur Rosalie, qui n’ont d’ailleurs entre eux aucun lien de parenté. Tout cela explique bien des choses dans la vie de George Sand et dans l’attitude qu’elle prendra vis-à-vis des questions relatives au mariage.

Laissons de côté le séjour au couvent et la crise de mysticisme, le retour à Nohant et les mois d’indépendance, de lectures faites au hasard, de furieuses galopades à travers champs et à travers bois Arrivons au mariage de la baronne Dudevant. Il n’a, ce mariage, rien qui ne soit fort ordinaire. Il ressemble à tous les mariages faits un peu vite, sur la foi de convenances apparentes et dont les débuts furent heureux. Lui non plus, Casimir Dudevant, n’a rien d’une nature exceptionnelle, et n’est guère tourné en personnage de roman. Marié moins brillamment, il eût été un mari pareil à tant d’autres, un peu incapable, un peu viveur, un peu coureur, qu’il était bon de surveiller