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totale. Avec des délicatesses d’art intraduisibles, Pascarella exprime le génie même du peuple romain.

Comme il diffère de Belli, il le complète. Belli représentait surtout les défauts et les vices du peuple, son bavardage médisant, sa passivité fataliste (et en ce sens Carducci n’avait point tort de dire que cette poésie « nie, raille et détruit ») ; Pascarella en représente plutôt les révoltes généreuses, ou tout au moins les passions actives. Est-ce que le modèle a changé, ou seulement le peintre ? Je ne sais. L’un et l’autre, peut-être. Quoi qu’il en soit, il ne semble pas douteux que Pascarella ne poursuive une fin plus complexe que Belli, et que son œuvre, plus grêle en apparence, ne soit cependant le fruit d’une inspiration plus riche. On devine le patriotisme de Pascarella. Il est subtil et comme insaisissable, mais il est profond et efficace. Le poète veut élever le peuple qu’il fait parler ; il sourit de son orgueil italien, mais il en jouit aussi : il y voit et il y encourage la promesse et le germe de quelque chose de grand. M’entretenant d’une Histoire de Rome qu’il prépare, et qui sera encore racontée par un homme du peuple, il me disait qu’il y travaille depuis quatre ans, qu’une soixantaine de sonnets sont achevés, d’autres ébauchés et que beaucoup restent à faire, mais qu’il a bon courage, parce qu’il croit — ce sont ses propres paroles — « faire une bonne œuvre d’art utile à son pays. » De la part d’un artiste, l’alliance de ces mots est surprenante, mais elle est noble. Nous n’y sommes pas accoutumés, et c’est une raison de plus pour que nous la méditions. Une telle devise à la vie d’un écrivain n’est pas pour la rapetisser. Sans doute un pur esthète dirait qu’elle n’ajoute rien à la valeur de l’œuvre, si elle ne la diminue pas. Mais où sont les purs esthètes ? Je pense, pour moi, que les belles paroles de Pascarella honorent singulièrement la petite littérature romanesca, qu’elles élargissent la portée de ces poèmes consacrés à la gloire du popolino de Rome, et, si l’on peut ainsi dire, à sa robuste santé, et qu’aux yeux de tous ceux qui ne jugent point que l’art se compromette en allant au peuple pour se nourrir de sa vie et le révéler à lui-même et aux autres, elles les marquent d’un sceau d’élection.


E. HAGUENIN.