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Ninetta, à l’idée de l’utilité du couteau. On remarquera aussi que cette opposition se trouve exprimée dans les trois derniers vers et surtout affirmée dans le dernier, dont le ton de résolution farouche la fait saillir de toute sa vigueur. Belli ne s’astreignait pas à ces procédés rigoureux. Ses vers étaient d’une fluidité plus libre, d’un naturel moins incisif. L’art de Pascarella est plus affiné ; il parvient à une manifestation je ne dis ni plus vive ni plus franche, mais plus plastiquement belle de la réalité.

Comme cette perfection ne s’obtient pas sans peine, l’art de Pascarella lui prend toute sa vie. Il passe ses journées dans les rues de Rome, appliqué à un travail intense d’observation, prenant des notes pour ses vers et des croquis pour ses admirables dessins qui, s’ils étaient publiés, en seraient la digne illustration. Il mûrit ses idées, il les corrige, il les force, par une méditation amoureuse, à prendre forme de poésie, et de poésie populaire ; et il attend l’heure où, condensées, enrichies, et purifiées, vivifiées au contact du peuple, elles sortiront de sa tête tout armées de leur originalité intime. « Le poète, — déclare-t-il, — doit penser toujours à ce qu’il veut dire ; mais pour qu’ensuite tout ce qu’il a profondément pensé et accumulé dans son cerveau par une longue et patiente fatigue devienne poésie, il faut qu’il attende le bon moment, le moment où les vers sautent d’eux-mêmes de la plume. » Belli avait dit : « Le nombre poétique et la rime doivent sortir comme par accident de l’assemblage, en apparence involontaire, des phrases libres, des paroles courantes... de manière que les vers... semblent en quelque sorte, non pas susciter des impressions nouvelles, mais réveiller des réminiscences. » On reconnaît chez Pascarella la même discipline sous une autre forme, renouvelée par un sens plus ferme de la création esthétique, et proclamée avec un ton de conviction moins dogmatique, mais peut-être encore plus tenace. Pascarella imite son maître non pas en le copiant, mais en s’inspirant des mêmes principes que lui : en cela réside d’abord une des raisons de sa supériorité.

Elle tient encore à une autre cause. J’ai dit que les disciples de Belli cherchaient à assembler leurs sonnets en petits poèmes. Aucun d’eux n’y réussit mieux que Pascarella, parce que sans doute un progrès naturel et lent, non pas une imitation servile, l’a amené à donner à ses sonnets, outre leur unité intérieure si parfaite, l’unité extérieure qui les joint en un tout indissoluble. Dès ses premiers essais, il marque une tendance à accoupler ou à