Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/428

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au premier abord du moins, un peu déconcertante. Elle déconcerte dans leur vie comme dans leurs propos. Quand on jette un regard sur les journaux de Rome, et particulièrement sur le bon Messagero, qui est le Moniteur général des faits-divers, on croirait que les Romains passent leur vie à jouer du couteau. Quand on lit de plus près et qu’on s’informe, on reconnaît qu’ils ne se poignardent guère que pour des raisons désintéressées, et selon les lois de l’honneur. On leur fait une réputation d’assassins ; leurs amis déclarent que ce sont de « grands enfans ; » si l’on y regarde bien, on voit qu’ils ne sont pas si simples. Ce sont des hommes d’une race antique sous une civilisation très jeune. À cause de cela, sans doute, ils sont pleins de contradictions. Ils affectent volontiers le scepticisme, et néanmoins les plus nobles des émotions humaines, la pitié, la charité, le frisson patriotique et religieux, leur sont connues, et quasi habituelles. Ils se dédoublent sans cesse ; une partie de leur âme observe l’autre, la discute, lui fait équilibre. Si je cherche une explication, ou plutôt une formule de leur caractère, je ne trouve que celle-ci, qui est vieille, et que je sens aussi incomplète : sur bien des points, ils sont, comme beaucoup de gens, mais eux par nature et « par droit de naissance », sceptiques d’intelligence et croyans de sentiment, défians et impressionnables. Leur cœur n’a pas reçu des siècles la même éducation que leur esprit. Il n’a pas atteint au même degré de culture, ou, si l’on préfère, car c’est tout un, de corruption ; il n’a pas suivi le même progrès ou subi la même décadence. Et c’est pourquoi ils ont été bien compris et aimés par des hommes qui leur ressemblaient en cela, entre tous par Stendhal.

Celui-ci raconte quelque part une anecdote qui peut leur être appliquée. Une de ses connaissances, un Italien d’âge mûr, sait Voltaire par cœur, est athée avec délices, et sur des raisonnemens invincibles. Il va à Naples, et dans la cathédrale il attend le miracle de saint Janvier. À peine est-il près de la balustrade qui sépare le public du miracle, qu’il pleure, se précipite à genoux et enfin se fait appliquer sur le front et sur la bouche le reliquaire qui contient le précieux sang du saint ; et, la cérémonie terminée, il court au confessionnal. Le lendemain, ses amis le raillent. Il leur répond : « C’est plus fort que moi. » Tel est le Romain, dans son existence comme dans sa conversation, lorsqu’il conte une histoire ou lorsqu’il en entend une : sceptique et crédule, moqueur et tout à coup enthousiaste. Je me rappelle qu’à une cérémonie