chemin de fer et poète tragique, l’autre palefrenier des écuries du Roi et candidat cicérone au musée du Vatican.
Une fois qu’on s’est mis au niveau et qu’on a pris le ton, on ne s’ennuie pas dans les osterie. Car, d’abord, le Romain est doué d’une aptitude remarquable à échanger des idées. Les siennes sont souvent saugrenues. Néanmoins ce sont des idées. Vous êtes sûr, avec le Romain, cabaretier, marchand ambulant, domestique, cireur de bottes, de pouvoir engager et soutenir une conversation « intellectuelle » et quelquefois intelligente. Il est d’ailleurs causeur étonnant. Fier, grave, taciturne dans le train ordinaire de la vie, il s’anime dès qu’il boit et qu’il a consenti à ouvrir la bouche. A la vérité, ces pauvres et braves gens ne boivent guère, quoiqu’ils aiment à boire. Ils ne rêvent que vin « de Ggenzano, d’Orvieti e Vvignanello, » voire, aux jours de richesse, le fameux Est-Est-Est, « un vrai paradis, » qu’on vend maintenant à Tosteria della Palombella, auprès du Panthéon, et qui est odorant et léger comme le parfum des fleurs. Mais ils se mettent à six pour vider un litre de vin blanc des Castelli Romani ou de vin noir d’Albano, et jamais à Rome on ne rencontre d’ivrognes. Leur grand plaisir est de parler lorsqu’ils se sentent entre amis ; et alors, dans leur dialecte énergique, très âpre ou très gai selon les cas, terrible ou bouffon avec ses consonnes redoublées et le feu roulant de ses r qui vibrent, ils révèlent un caractère et un esprit extrêmement complexes et attachans, et — je le dirai en donnant au mot son sens le plus net — vraiment fort distingués. Ce qui en apparaît d’abord, c’est la tendance à la moquerie, avec cette brusquerie de trait, de repartie, de malignité ingénieuse, qui a donné naissance aux épigrammes de Pasquino. Puis c’est, surtout lorsqu’il s’agit de vues un peu générales sur l’existence, dont ils ne sont pas avares, un fond de philosophie fataliste et résignée. Et c’est, malgré tout cela, au milieu de tout cela, une grande naïveté, une grande vivacité, et même une grande violence d’impressions : ils sont prompts à la sympathie et à l’émotion, et leur émotion se traduit, virilement, par de grands coups de poing sur les grosses tables. Ce mélange de naïveté et d’incrédulité, cette facilité continue à passer de l’attendrissement à la plaisanterie donne à leur conversation une apparence d’ironie, un ton d’humour qui en fait quelque chose de très touchant à la fois et de très piquant.
En somme, leur « psychologie » est distincte, franche, et pourtant,