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mioches ? » me dit-elle en les couvrant de caresses. Et quand ils se furent éloignés : « Deux abandonnés qui nous sont restés pour compte, deux enfans de l’amour, comme on les nomme, paraît-il ! J’ai connu leurs mères ; j’ai même vu le père du garçon, un Hollandais. Nous les avons élevés : ils sont notre joie et le sourire de la maison… Viens ici, mignonne, tu perds ton ruban. » L’enfant s’approcha. La sœur lui rattacha le nœud de sa chevelure, et, la poussant vers moi : « Embrassez-la, me dit-elle, c’est une petite Française. »

J’ignore combien de temps dura ma visite. Cette aimable femme ne se lassait point de m’instruire. Elle me parla des Chinois, me vanta la solidité de leur attachement, leur esprit de justice et leur probité : « Oui, me disait-elle, nous aimons les Chinois et nous avons de bonnes raisons de croire qu’ils ne nous détestent plus. La veille des fêtes, les marchands nous envoient des volailles et des quartiers de bœufs. Quelques-uns des plus riches nous confient leurs enfans. Mais le peuple lui-même, qui jadis nous insultait dans les rues, commence à comprendre que nous lui voulons du bien, et sa misère jette un œil d’envie sur nos protégées. J’en eus un frappant exemple l’année dernière. Une de nos orphelines s’était échappée. Nous n’avons jamais su pourquoi. Heureusement, on nous avertit qu’elle allait s’embarquer pour Canton, et quand elle arriva au ponton du départ, je l’y attendais. Elle rechignait à me suivre, et nous fûmes bientôt enveloppés de coolies qui, me voyant mettre la main sur une Chinoise, se hérissaient déjà et allongeaient vers moi leurs faces de carême. Dieu m’aidant, je me tournai vers eux et je leur dis : « Voilà une fille que ses parens nous ont apportée mourante, il y a près de quinze ans. Elle a grandi chez nous, elle y mange son comptant matin et soir et tous les jours de l’année. Et elle se sauve aujourd’hui, sans même un remerciement. Est-ce que vous l’approuvez ? » Alors leurs yeux me quittèrent pour se porter sur la fille. Elle avait bonne mine, l’air robuste, des joues pleines et le front luisant. Ils hochèrent la tête, et, pris soudain d’une belle indignation, ils lui crièrent : « Ingrate ! tu es grasse et tu t’en vas ! »


Macao, 10 novembre.

Imaginez, entre deux collines qui s’avancent dans la mer et forment une baie charmante, une ville du midi, une ancienne ville à demi espagnole, dont les toits panachés de verdure s’étagent