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j’avais toujours compté trouver des moyens d’union assez forts pour résister aux velléités centrifuges de quelques gouvernemens confédérés : ces moyens, je voulais les chercher dans nos institutions publiques communes, notamment dans le Reichstag… » La conviction qu’il s’était trompé, qu’il n’avait pas eu « une assez haute idée du sentiment national des dynasties, » qu’il en avait eu « une trop haute du sentiment national des électeurs allemands ou pour le moins du Reichstag, » cette conviction, il serait lent et rétif à l’acquérir. Mais, à la fin, il devrait bien se rendre : la crainte du particularisme des princes l’avait empêché de voir le particularisme des partis : « Aujourd’hui, écrit-il aux dernières pages de ses Mémoires, — et c’est en quelque sorte son jugement sur lui-même, — aujourd’hui, je dois faire amende honorable aux dynasties ; quant aux chefs de partis, la postérité décidera un jour s’ils ne me doivent pas un Pater, peccavi. Je ne puis rendre témoignage que de l’impression que j’éprouve à l’égard des groupes et de leurs membres tantôt paresseux, tantôt ambitieux, et je déclare que, selon moi, le préjudice qu’ils ont porté à notre avenir est plus grave et leur faute plus lourde qu’ils ne pensent. Get you home, you fragments, dit Coriolan[1]. »

Quoi qu’il en soit, c’est avec ces auxiliaires ou ces gêneurs qu’il a, dans la paix, à terminer et à consolider l’Empire allemand, né de ses trois guerres. Et cette seconde partie de l’œuvre de M. de Bismarck n’est ni la moins intéressante, ni peut-être la moins admirable, mais on s’y attache moins, parce que l’autre, la première, l’œuvre de fer et de sang, a été plus éclatante. Dans le chancelier victorieux, en Bismarck triomphant, le vieil homme s’est retrouvé à point, le propriétaire de la Marche, le forestier du Sachsenwald, entendu aux coupes de bois ; il administre l’Allemagnc comme son bien, comme une de ses terres, Külz, Kniephof ou Jarchelin ; il en prend la gestion bourgeoise au profit de la génération qui s’élève ; il rétablit les affaires, il les développe ; il est le grand « économe » national, le « père de famille » allemand. Ainsi que jadis à Schœnhausen, il se fait nommer, il se nomme lui-même « intendant des digues ; » il entoure l’Empire d’une digue, soigneusement entretenue, de tarifs douaniers.

Cela, sans aucune préférence ni préoccupation théorique : car il n’a pas de doctrine économique ; mais il n’a pas non plus de

  1. Pensées et Souvenirs, t. II, p. 365 et 366.