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point savoir ce qui ne lui a jamais été enseigné, à aucun moment de sa carrière d’écolier. Cet enseignement qui n’existe pas, le programme de l’examen l’implique et le suppose donné par le maître. N’y a-t-il pas là une inconséquence et une incohérence choquante ? Pour la faire cesser, peut-être convient-il d’adresser un nouvel appel à l’opinion. L’heure paraît venue de lui soumettre des argumens qui achèvent de la convaincre, qui la décident à exiger que l’histoire de l’art soit introduite dans l’enseignement classique, au même titre qu’elle l’a été, en 1891, dans l’enseignement moderne, mais sous la condition expresse que, cette fois, les moyens lui seront fournis de s’adresser directement aux yeux, pour justifier ses assertions et pour doter l’esprit d’un nouveau sens, le sens esthétique.


I

La langue parlée et écrite, la langue dont les signes sont des mots, n’est pas la seule dont l’homme dispose pour traduire ses idées ; il a aussi la langue des formes, qui ne rend pas avec moins de force et de clarté les conceptions de l’intelligence et les sentimens du cœur. Si nous étudions l’œuvre littéraire des peuples d’autrefois et leur histoire, c’est pour arriver à mieux nous connaître nous-mêmes, et ce résultat, nous l’atteignons en reprenant conscience, grâce à ces documens, des différens états d’âme, comme on dit aujourd’hui, par où nos ancêtres ont passé, états successifs qui tous, même les plus élémentaires et les plus lointains, sont représentés, sans que nous le sachions, dans les plus secrètes profondeurs de notre être, par des croyances et des habitudes que n’expliquent pas le régime et le train de la civilisation actuelle. Or, sans même remonter jusqu’à l’époque quaternaire et à l’homme des cavernes, il est maints de ces états qui se déroberaient toujours aux curiosités de l’historien, s’il ne devait tenir compte que des témoignages écrits. Nous ne prendrons qu’un exemple, entre tant que nous pourrions choisir.

On a souvent entendu parler de ces découvertes de Schliemann qui ont exhumé Troie, Mycènes et Tirynthe, arraché à l’oubli une Grèce primitive dont les Grecs eux-mêmes n’avaient conservé qu’un faible souvenir, et refait ainsi à l’époque homérique un arrière-plan de plusieurs siècles. Or, cette Grèce contemporaine des Toutmès et des Ramsès, cette Grèce antérieure à l’histoire