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crut que c’était le lieu où le ciel joignait la terre. » Il y eut cependant une personne au moins pour qui la disparition brutale de Puylaurens avait tout gâté. Mademoiselle lui « voulait du bien ; » il avait gagné son cœur en lui apportant des bonbons, et elle sentait que c’était une vilaine histoire pour son père : « Je laisse, dit-elle, à des gens mieux instruits et plus éclairés que moi dans les affaires à parler de ce que Monsieur fit ensuite de la prison de Puylaurens. »

L’année suivante, elle eut un affront à dévorer pour son propre compte. Les lignes suivantes, parues dans une Gazette du mois de juillet 1636, durent être insupportables à une enfant atteinte de la folie de l’orgueil : « Le 17e, Mademoiselle, âgée de neuf ans et trois mois, fut baptisée au Louvre, dans la chambre de la reine, par l’évêque d’Auxerre, premier aumônier du roi : ayant pour marraine et parrain la reine et le cardinal-duc (Richelieu), et fut nommée Anne-Marie. » Il est fait allusion à ce petit événement dans les Mémoires de Retz : « M. le cardinal de Richelieu devait tenir sur les fonts Mademoiselle, qui, comme vous pouvez juger, était baptisée il y avait longtemps ; mais les cérémonies du baptême avaient été différées. » Ce parrain qui n’était même pas prince était bien humiliant. Pour comble de chagrin, il crut devoir s’occuper de sa filleule. Avec l’intention d’être aimable, il la mettait hors d’elle, parce qu’il la traitait en petite fille, à neuf ans ! « Il me disait toutes les fois qu’il me voyait que cette alliance spirituelle l’obligeait à prendre soin de moi, et qu’il me marierait (discours qu’il me tenait ainsi qu’aux enfans, à qui on redit incessamment la même chose). »

Un voyage qu’elle fit en France (1637) mit du baume sur ces blessures d’amour-propre. On lui chanta des Te Deum, des « corps » vinrent la saluer, une ville illumina, la noblesse lui offrit des fêtes. Mademoiselle nageait dans la joie ; c’était ainsi qu’elle se représentait la vie d’une personne « de sa qualité ». Elle finit sa tournée par Blois, où Monsieur, toujours bon père, voulut l’initier lui-même à la morale des princes, qui n’avait aucun rapport, en ces temps aristocratiques, avec la morale bourgeoise. Il avait pour l’instant une maîtresse sans conséquence, une jeune fille de Tours, quelconque et appelée Louison. Monsieur fit faire le voyage de Tours à sa fille pour lui présenter sa maîtresse. Mademoiselle se déclara satisfaite du choix de son père. Elle trouva Louison « fort agréable de visage, et de