Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/252

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ce prince qui se savait haï et « ne s’aimait pas lui-même[1], » s’étant jugé.

Il était bègue, timide, et avait comme son frère les nerfs malades ; le journal d’Hérouard, son médecin dans sa première jeunesse, le montre somnambule, dormant les yeux ouverts, et alors se levant et parlant tout haut. Ses médecins l’achevaient ; en un an, Bouvard le fit saigner quarante-sept fois, lui fit prendre deux cent douze médecines et deux cent quinze lavemens ; et encore on reprochait à ce pauvre homme de ne pas être assez docile avec la Faculté. Il avait très peu « étudié, » ne s’intéressait à aucune des choses de l’esprit et n’avait guère que des passe-temps manuels. Il aimait à chasser, à jardiner, à cuisiner, à fabriquer des filets, des lacets, des arquebuses, des confitures, à larder de la viande et à faire la barbe. Il avait comme son frère un côté d’artiste, adorait la musique et en composait. C’était le seul sourire d’un naturel ingrat. Louis XIII était sec et dur. Il détestait sa femme, n’aimait au monde que ses jeunes favoris, cessait un beau jour de les aimer, et ne s’inquiétait plus alors de leur vie ou de leur mort. Il allait voir mourir en partie de plaisir, pour jouir des « grimaces » des agonisans. Sa dévotion, très sincère, était étroite et stérile. Il était jaloux et soupçonneux, oublieux et léger, incapable de s’appliquer avec suite aux grandes affaires. Il n’avait qu’une vertu, mais suffisante pour sauver sa mémoire, au degré héroïque où il la porta, la même vertu qui a soulevé les Hohenzollern au faîte de la puissance et de la gloire. Cette âme sombre était pénétrée du sentiment impérieux de son devoir de souverain, son devoir professionnel d’homme désigné par la Providence pour être responsable devant elle de millions d’autres hommes. Il ne séparait pas son propre bonheur de celui de la France, pas plus que sa propre gloire ; il ne se séparait jamais, en rien, de son royaume. Il avait marié son frère de force, tout en sachant bien que la naissance d’un neveu l’ulcérerait. Il gardait Richelieu avec désespoir et résolution, dans la pensée que le pays serait perdu sans son ministre. Il avait l’essentiel d’un roi, la qualité qui supplée à beaucoup d’autres et sans laquelle les autres, les plus belles, demeurent inutiles.

Autour de ces protagonistes bourdonnait une mêlée d’ambitions rivales et d’intrigues confuses, qui avaient cela de commun

  1. Mémoires de Mme de Motteville.