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la vieille forteresse de Philippe-Auguste et de Charles V, élégant et riant en face des Tuileries et du quai, où les Valois et Henri IV avaient commencé le nouveau Louvre, celui que nous connaissons. À l’intérieur, les mœurs du temps, mélange disparate d’extrême raffinement et d’extrême grossièreté, en faisaient l’un des lieux du monde les plus bruyans et les plus malpropres. On entrait chez le roi de France comme dans un moulin ; une cohue tapageuse emplissait son palais du matin au soir, et l’usage était de ne pas se gêner dans les lieux publics. Le flot montant et descendant des courtisans, des gens d’affaires, des soldats, des provinciaux, des fournisseurs et des domestiques considérait les escaliers, les balcons, les corridors, le derrière des portes, comme des endroits propices au soulagement de la nature. C’était une servitude immémoriale, qui existait aussi bien à Vincennes et à Fontainebleau, et qu’on n’abolit point sans peine : il est encore parlé, dans un document postérieur à 1670, des « mille ordures » et des « mille puanteurs insupportables » qui faisaient du Louvre un foyer d’infection, très dangereux en temps d’épidémie. Les grands de la terre acceptaient ces choses comme des fatalités, et se contentaient de faire donner un coup de balai.

Ni Gaston ni la princesse sa femme n’en étaient à cela près ; ils avaient l’habitude des châteaux royaux et devaient trouver cette année-là, dans leur ivresse, que le Louvre sentait bon. Il ne leur convenait pas non plus de remarquer qu’on y était encore plus triste que d’ordinaire. Anne d’Autriche avait eu un crève-cœur de la grossesse de sa belle-sœur. Elle n’osait plus espérer d’enfant, après douze ans de mariage, et sentait qu’elle s’enfonçait dans le néant. Ses ennemis commençaient à insinuer qu’elle n’avait plus de raison d’être, et elle ne l’ignorait pas. La reine de France vivait dans un effacement si profond, que le monde ne connaissait d’elle que sa beauté blanche et rose. On la savait malheureuse et on la plaignait ; on ne la jugea que beaucoup plus tard, quand elle fut régente. De son côté Louis XIII était amèrement jaloux de la future maternité de Madame. Les mauvais sentimens lui étaient naturels, et il était trop malheureux pour qu’on ne l’excuse pas un peu. Depuis l’arrivée de Richelieu au pouvoir, il succombait sous les exigences du devoir monarchique. Sa personne trahissait sa détresse intérieure ; elle exhalait la contrainte et l’ennui. Toute joie expirait au seul aspect de ce visage blême et démesurément long, si morne, si expressif de la misère morale