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pages, la musique de la Cenerentola. Je ne sais par quelle exception, ou quelle contradiction, le plus rossinien des critiques put se montrer sévère pour une œuvre aussi purement rossinienne. Il lui fait des reproches étranges. « La musique de la Cenerentola, dit-il, me parait manquer de beau idéal... Elle fixe constamment mon imagination sur des malheurs ou des jouissances de vanité, sur le bonheur d’aller au bal avec de beaux habits ou d’être nommé maître d’hôtel d’un prince... Il n’y a peut-être pas dans la Cenerentola dix mesures de suite qui ne rappellent l’arrière-boutique de la rue Saint-Denis, ou le gros financier, ivre d’or et d’idées prosaïques, qui, dans le monde, me fait déserter un salon lorsqu’il y entre. »> Comme dit le bonhomme Poirier, je ne saisis pas le rapport. El je le saisis encore moins quand Stendhal prétend expliquer la bassesse ou la vulgarité de cette musique en rappelant « que cet opéra fut écrit pour les Italiens de Rome, des habitudes desquels trois siècles de la politique des Alexandre VI ont banni toute noblesse et toute élévation. »

Ce n’est sûrement pas de vulgarité que les plus renchéris pourraient accuser la Cendrillon de M. Massenet. L’esprit de finesse anime l’œuvre et la garde de l’excès. Comique ou sentimentale, elle n’est rien exagérément. Une fois, une seule, près de quitter la maison qui fut cruelle à sa jeunesse, Cendrillon a paru tomber dans la sensiblerie. Le très joli duo qui précède, — avec le père, — suffisait pour édifier et attendrir. Le monologue est par trop vertueux. Il y a là des adieux et des baisers à des tourterelles, un rameau bénit caché dans le corsage, des souvenirs d’autrefois avec des appels enfantins : « Maman ! maman ! » où triomphe trop aisément un des nombreux musiciens que sait être M. Massenet, celui qu’on pourrait appeler le Massenet des familles. Il est tout autre que le Massenet de Sapho, de Thaïs et d’Esclarmonde. Celui-ci du moins, le musicien de Cendrillon a résolu de ne pas l’être. Il y a merveilleusement réussi. J’admire comme il a modéré ses ardeurs coutumières et voilé pour ainsi dire les éclats de la passion sous le mystère de la féerie et le vague du rêve. Les phrases d’amour dans Cendrillon sont à cet égard très caractéristiques : celles du prince, rêvant d’abord à la jeune fille, puis la voyant paraître : mais surtout celle de Cendrillon elle-même, souvent rappelée au cours de l’ouvrage par l’orchestre ou par la voix : Vous êtes mon prince Charmant. Certes j’apprécie, lorsque je l’entends pour la première fois, le développement de la cantilène, et ses détours ou ses retours ingénieux ; je suis plus sensible encore à la qualité ou plutôt à la nature de la mélodie elle-même, et je l’aime pour sa réserve, sa modestie et sa pureté.