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Il y a dans l’Afrique du Sud des régions malsaines, où le travail manuel a bientôt épuisé les forces du blanc, où rien ne peut se faire sans l’assistance du noir. Malheureusement, le noir est fainéant avec délices. Un très petit nombre de Matabélés et de Mashonas ont consenti librement à travailler pour leurs nouveaux maîtres ; encore ne s’engageaient-ils que pour un ou deux mois. Mécontent de ses ouvriers, qui le révoltaient par leur lâche indolence, M. Brown en fit venir d’autres du bassin du Zambèze. Ceux-ci valaient un peu mieux ; mais, par une incurable idiosyncrasie de la race, ils ne contractaient, eux aussi, que des engagemens temporaires. Dès qu’ils avaient amassé un petit pécule et s’étaient mis en état d’acheter une ou deux femmes, « ils employaient le reste de leurs jours à prendre comme des lézards des bains de soleil, pendant que leurs épouses pourvoyaient à leur subsistance en cultivant leurs champs. »

La Compagnie à charte avait recouru d’abord aux moyens détournés pour contraindre les noirs à travailler. Elle leur imposait des taxes et les obligeait ainsi à se secouer un peu pour échapper aux saisies ; elle passait aussi des accords avec les chefs de villages, qu’elle chargeait de fournir des hommes de corvée aux colons ; soit mauvais vouloir, soit impuissance, ils en fournissaient très peu. M. Brown déclare que dans une grande partie de la Rhodesia, l’Européen ne se tirera d’affaire qu’en condamnant l’indigène au travail forcé, et que ce sera un grand bien pour tout le monde.

Il invoque à ce sujet le témoignage de quelques missionnaires, qui estiment qu’on n’améliore les mœurs du noir, qu’on ne le guérit de ses vices, qu’on ne l’arrache à la servitude du péché qu’en le contraignant à travailler. Le révérend Isaac Shimmin, surintendant des missions wesleyennes de la Rhodesia, s’est plaint des philanthropes mal informés, trop ombrageux, qui accusent la Compagnie à charte d’avoir revêtu de belles couleurs quelque chose qui ressemble au rétablissement de l’esclavage. « C’est une pure calomnie. » dit-il, et il argumente avec subtilité sur la grande différence qu’il faut faire entre un esclave et un homme soumis au régime du travail forcé. — « Nous sommes entourés dans ce pays, ajoute-t-il, de milliers de sauvages, croupissant dans la paresse et que leur oisiveté induit sans cesse en tentation, et nous qui savons que la discipline serait le souverain remède à leurs infirmités, nous ne pouvons prendre aucune mesure à cet effet sans nous attirer le reproche de patronner l’esclavage. » — « Les noirs sont des enfans, dit un autre missionnaire, et les enfans ne travaillent pas par persuasion, il faut user de rigueur. » On a la