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envie et qui maintient à Washington son haut rang de capitale. Il n’est pas de ceux qui disent : « Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! » Son jardin, ce n’est pas lui qui le cultive, bien qu’il donne au jardinier de judicieux conseils et parfois un coup de main ; mais c’est pour lui que poussent les fleurs et que mûrissent les fruits. Il ne ferait pas mieux lui-même, il est content.


III. — LA VIE

En dehors de sa constitution toute particulière et de son caractère de métropole fédérale, Washington se distingue encore des autres villes américaines par un trait qu’on ne retrouverait pas ailleurs. A city of leisure and pleasure, une cité de loisir et de plaisir, c’est en ces termes que, le sourire aux lèvres, tout bon Washingtonien définira sa capitale, et cette définition se trouve consacrée par le consentement à peu près unanime du reste des citoyens de l’Union. Loisir et plaisir, voilà, en effet, si l’on met à part le bourdonnement de la Ruche Capitoline et l’activité des grands services nationaux, voilà ce qui donne à Washington un cachet dont le visiteur ne peut manquer d’être frappé dès les premiers pas, surtout s’il a passé, au préalable, par les formidables emporiums de New-York, de Chicago, de Philadelphie. Plaisir, il est vrai, qui ne répond pas toujours aux nôtres, et où l’esthétique, telle que nous la concevons, n’a pas encore toute sa part ; mais, plaisir enfin, en ce sens que le souci de dépenser libéralement son argent y succède au souci de le gagner. Ni ville de viande, ni ville de blé, ni ville d’huile, ni ville de charbon, ni centre manufacturier, ni grand marché d’affaires, Washington n’est rien de tout cela. Non. Mais, autour des Pouvoirs publics et de leurs légions de fonctionnaires, plus largement rétribués, en général, que leurs collègues du Vieux Monde, des quartiers se fondent, s’embellissent et s’étendent sans autre objet apparent que de goûter, dans une atmosphère plus sereine, une vie dégagée des âpres combats que l’on se livre ailleurs et sans autre mouvement que les transactions considérables, à vrai dire, qui se rapportent aux besoins d’une aussi vaste agglomération d’hommes ayant plus ou moins les moyens de se montrer exigeans. Nombreux sont les businessmen qui, leur fortune faite dans la houille ou dans les laines, se retirent du champ de bataille et cherchent quelque résidence, loin du Stock Exchange et dans un milieu plus