des poussées et des reculs où se révèle aussi bien la croissance hâtive des villes-champignons, que la genèse laborieuse des cités dix fois séculaires.
Là, au contraire, ni hésitation, ni repentir. Si l’Amérique est le seul pays où l’on puisse apercevoir clairement le point de départ d’un grand peuple, Washington est la seule ville où s’aperçoive, et plus clairement encore, le point de départ d’une grande cité, apparaissant avec le système politique dont elle doit être le nœud. C’est, on le sait, après un soulèvement militaire qui éclata autour de l’Assemblée, à Philadelphie, alors le cœur de la nouvelle République, que l’on s’occupa de chercher une autre résidence plus sûre et parfaitement indépendante pour le siège des pouvoirs fédéraux. Comme étendue, 100 milles carrés étaient assignés à cette zone qui devait s’appeler le territoire de Colombie et dépendre de l’autorité directe du Congrès. Une fois le choix fait parmi les diverses compétitions en présence (et cette étude dura de 1783 à 1790), une fois l’emplacement fixé entre la Virginie et le Maryland, à quelques lieues de l’Atlantique, on s’en remit au temps infaillible du soin de faire lever les semences confiées à ce désert en une moisson digne du nom qui lui avait été donné : celui du Libérateur.
Il faut ici admirer sans réserve la sérénité et la confiance vraiment romaines qui trempaient l’âme des compagnons de Washington, quand, au sortir de la guerre qui venait de consacrer leur indépendance, leurs armes à peine déposées, ils eurent le pressentiment de leur immense avenir et, sur la rive encore inhabitée du Potomac, s’occupèrent de bâtir pour la postérité. « Dans les sociétés démocratiques, observe Tocqueville, l’imagination des hommes se resserre quand ils songent à eux-mêmes ; elle s’étend indéfiniment quand ils pensent à l’Etat. Il arrive de là que les mêmes hommes qui vivent petitement dans d’étroites demeures, visent souvent au gigantesque dès qu’il s’agit des monumens publics. Les Américains ont placé sur le lieu dont ils voulaient faire leur capitale l’enceinte d’une ville immense, qui aujourd’hui encore n’est guère plus peuplée que Pontoise, mais qui, suivant eux, doit contenir un jour un million d’habitans ; déjà ils ont déraciné les arbres à dix lieues à la ronde de peur qu’ils ne vinssent à incommoder les futurs habitans de cette métropole imaginaire. »
Innocente raillerie dont l’illustre écrivain n’aurait pas accompagné