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hington, son fondateur. Arrivé au pied du monument qui ne donne qu’alors l’idée complète de son élévation, le visiteur ne peut s’empêcher de se sentir déconcerté un moment devant ces parois étroites et décroissantes dont rien, ni inscription, ni sculpture ne vient troubler, jusqu’au ciel, le miroitement de cristal.

On entre ; car cet obélisque est en même temps une tour dont l’intérieur n’est pas moins étrange que le dehors. Le regard se fatigue, en effet, à chercher la clarté du jour à l’extrémité de ce tube interminable sans autre ouverture que les quelques œils-de-bœuf pratiquées sur les quatre pans coupés de la pointe. Un ascenseur qui peut contenir quarante personnes vous épargne les mille marches qui mènent de la base au sommet, et, après un trajet de dix minutes entre les bas-reliefs allégoriques, avec dédicaces et devises, qui décorent chacun des blocs envoyés en offrande par des donateurs de tout ordre, vous dépose enfin dans la galerie ménagée sous le faîte.

C’est de là qu’on voit le mieux se développer, dans toute son ampleur et dans la régularité de ses lignes, le cadre adopté, il y a un siècle, pour la capitale de la République naissante. Prenons pour point de départ le Potomac, qui nous sépare de la Virginie, et dont on peut remonter du regard le large ruban presque jusqu’aux pittoresques rapides de Great-Falls. Nous découvrirons, tour à tour, en évoluant de gauche à droite, les coteaux boisés d’Arlington, ancienne propriété du général Lee, le vaincu de la guerre de Sécession, aujourd’hui une nécropole militaire ; les villas de Georgetown, les coupoles de l’observatoire, les bois où circule la sinueuse rivière de Rock-Creek ; le parc Cleveland, le jardin zoologique, les mamelons du Soldiers’home, retraite fastueuse pour les soldats invalides, dont le beffroi de marbre ressemble à une réduction très nettoyée du donjon de Westminster ; et, pour clore le cercle, les quartiers qui s’étendent jusqu’à la rivière Anacostia, de l’autre côté du Capitole qu’il est inutile de décrire, tant sa colossale silhouette est familière à tous les yeux, rappelant en quelque sorte la Basilique de Saint-Pierre dont on aurait redressé les deux ailes.

Entre ces points de repère, nous distinguons les innombrables quadrilatères formés par les rues parallèles se coupant à angle droit et toutes plantées d’arbres ; les clochers de deux cents églises, les bannières flottant aux campaniles de quarante hôtels ; les bouquets des squares, étoiles ou demi-lunes où se rencontrent les