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UNE CAPITALE FÉDÉRALE

WASHINGTON


I. — LA VILLE

Si l’on venait dire, sans préparation, à quelque théoricien rigide des droits de l’homme et du suffrage indéfini : « Il existe, dans l’un des pays les plus riches et les plus progressifs du globe, dans le pays peut-être le plus jaloux de ses libertés, une ville de 300 000 âmes gouvernée par un triumvirat ; tout en étant un centre politique de premier ordre, un modèle pour la propreté, l’air riant de ses rues, pour le régime intelligent de ses eaux, pour la facilité des communications, pour la tenue de ses établissemens scolaires et hospitaliers, pour la rareté des mendians qu’on y rencontre, pour sa police, la répartition des taxes et la gestion de ses finances, cette ville ne compte cependant ni un conseiller municipal, ni un électeur : aucun contribuable ne vote ces taxes, aucun administré ne contrôle cette administration ; point de plate-forme pour lui donner l’assaut ; point de candidats rivalisant de civisme : ni comices, ni scrutin, ni ballottages… »

Nul doute que notre philosophe ne criât au blasphème et ne s’enfuît en se bouchant les oreilles.

Et pourtant ce pays est la plus grande des Républiques, les États-Unis, et cette ville est sa capitale, Washington.

Mais, approchons du phénomène, étudions son aspect, sa structure, ses conditions d’existence et voyons si cette sainte horreur remplira notre âme à son tour.

Entre les grilles de la Maison-Blanche et la rive gauche du Potomac, sur un vaste terre-plein gazonné, s’élève, plus haut que la plus haute pyramide d’Égypte, le gigantesque obélisque de marbre érigé par les États de l’Union à la mémoire de Was-