Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 154.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de provocantes enseignes ses notes les plus violentes à la douceur des champs. Il ne vous laisse aucun repos, c’est une hantise qui vous obsède. Au fond du plus humble village, vous trouverez toujours quelque vieille chaumière affligée de quelque affiche tapageuse.

C’est comme le nez de Bodinier : Bodinier était un peintre chez qui la nature avait exagéré cet appendice. Un jour, il vint aux rapins la fantaisie de dessiner ce nez sur de nombreux murs de Paris. L’artiste partit pour l’Italie, mais à chaque étape de son voyage il retrouvait, sur quelque pan d’édifice, sur quelque tronc d’arbre, le fameux nez accompagné d’une main indicatrice ; et cela se continua jusqu’en Sicile, puis en Égypte, et lorsqu’il fut arrivé à la deuxième cataracte, il était toujours là, sur le rocher où finissait la route, ce nez inévitable, précédé de la main qui montrait le désert. Oui, aujourd’hui l’art et ses mille complications fantaisistes et funambulesques envahissent le monde entier. sainte simplicité, où te trouver encore ? Elles sont de plus en plus rares, ces thébaïdes propres à l’éclosion des âmes prédestinées aux arts et où, après leurs études dans les musées, les peintres pouvaient s’isoler au fond d’une nature gardant son caractère primitif et ses harmonies éternelles, loin des affiches criardes, des villégiatures vaines, des cabines des plages. C’est dans la plus silencieuse de ces thébaïdes, hélas ! méconnaissable aujourd’hui, qu’au milieu d’une zone d’ignorance profonde, je m’ouvris aux premiers rayons de l’art qui m’arrivèrent insensiblement.

Souvent j’interrompais mes jeux pour écouter les entretiens de mes parens sur les faits et les préoccupations du moment dont ils suivaient les péripéties dans diverses publications de Paris. Aux murs solitaires de notre jardin, ils avaient entendu, mêlés au bruissement familier des choses de la nature, les échos merveilleux du canon des grandes journées de Juillet tandis que j’étais encore au berceau. Mais bientôt les ardens combats qui passionnèrent les arts et les lettres, murmurèrent à mes oreilles d’enfant, rumeurs de marée montante qui nous arrivaient par les chaudes journées, dans le recueillement des crépuscules ; harmonies mystérieuses dont j’ignorais encore le sens et qui n’en vibraient pas moins dans mon jeune cerveau avec les trépidations des cigales ; c’étaient les accords lamartiniens, les rêves irisés de Chateaubriand, les roulemens de tambour de Barbier et les sublimes métaphores de Victor Hugo, celle, par exemple où il comparait les