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avec leur vie, leur caractère, leurs vibrations et leurs accords. La France épuisée aimera aussi la nature comme on aime une mère qui ne voit ni les gloires ni les fautes de son enfant, mais seules ses angoisses et ses plaies vers lesquelles elle se penche, dévouée tout entière à leur guérison. C’est passionnément que l’art se tourna vers elle.

On dira que cet amour de la nature est de tous les temps, qu’il existe chez tous les êtres. Je le sais ! Cependant, chez beaucoup de gens, cet amour n’est qu’une sorte de rêverie purement passive, comme l’attrait d’une digestion insubstantielle et voluptueuse. Les animaux, les végétaux la connaissent aussi, cette joie qui fait tout exulter par les belles journées, les fêtes du soleil. L’anémone de mer, les plantes comme les hommes, s’épanouissent à la douceur des rayons et, par les mauvais jours, se crispent dans la tourmente. C’est ainsi que tous les élémens savourent l’universel amour, cette suprême consolation des éternelles douleurs.

Mais ce n’est que dans le recueillement de la paix, surtout après les secousses convulsives, que cet amour en engendre un autre, source des arts, celui des poètes et des peintres, qui ne se contente pas de s’emplir les yeux de l’ivresse des ciels et des (leurs, mais qui s’intéresse aux formes, aux couleurs, aux harmonies, qui fouille le monde, qui y cherche une âme qui le féconde ; je parle de l’amour qui crée.

Et c’est une bonne fortune pour cette passion créatrice que de pouvoir s’exercer sur des pays et des êtres primitifs et dans des centres d’ignorance. Elle fut sous ce rapport servie à souhait. Car, malgré les quelques grands noms cités plus haut, au moment de la chute de l’Empire, le peuple, la bourgeoisie et les académies de province étaient revenues à l’innocence première en fait d’art. Le règne des héros n’est pas celui de l’esthétique. Rien n’en éloigne les ambitions comme de les tourner vers la gloire des conquêtes. Napoléon Ier n’aimait pas les idéologues. Il chantait faux et la peinture n’avait pour lui qu’un but : propager sa gloire. Il exila l’admirable Mme de Staël, esprit supérieur qui, avec tous les défauts emphatiques de son temps, eut un sentiment élevé de la nature et des arts. C’était le temps des psychologues et des critiques allemands ; elle les connut, notamment les frères Schlegel. Ils prêchèrent dans le vide. Quelque illustres qu’ils fussent, que pouvait-on recueillir de leurs traités diffus et nébuleux ! pas