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dithyrambiques d’aujourd’hui. Tous les talens profitaient de cette impartialité bienveillante, même les jeunes artistes qui cherchaient à explorer les chemins non battus. Seuls, quelques vieux peintres, attardés dans la tradition de David, ralliaient sur leur tête toutes les railleries. Les derniers des rapins les tournaient en ridicule ; et je dois dire que certains de ces retardataires affectaient une dignité morne et pédantesque, bien faite pour excuser tant d’irrévérence.

Seulement notre présomption nous entraînait trop loin, lorsque nous parlions de Louis David, lui-même, comme d’un cuistre. Depuis, une réaction a placé ce peintre presque au niveau des plus grands maîtres. Est-elle plus juste ? C’est ce que nous allons examiner. David est-il un peintre de génie, un initiateur, un rénovateur, ainsi qu’il a été dit ? ou bien, comme l’affirmait notre outrecuidance hasardeuse, faut-il ne voir en lui qu’un habile, mais froid metteur en scène de figures emphatiques et figées, soigneusement dépouillées de tout accent expressif et vrai ? A-t-il compris quoi que ce soit à la beauté grecque qu’il prétendait faire revivre sous les yeux de ses contemporains ? La composition du Serment du Jeu de Paume est-elle autre chose qu’un arrangement théâtral, une réunion de cabotins exhalant, la main sur le cœur, leur patriotisme conventionnel avant la Convention ? Et sa Distribution des aigles excite-t-elle un autre enthousiasme que celui de mannequins dont on croit entendre grincer les articulations sous des mouvemens outrés, forcés et, par cela même, condamnés à l’immobilité définitive ?

Il ne faut rien exagérer ; mais, pour les qualités comme pour les défauts, il y a du vrai dans ces deux appréciations si différentes.

David avait reçu de la nature deux dons rares dont il ne s’est guère servi : la vision franche et l’exécution simple. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder un instant son propre Portrait du Salon Carré de l’école française et les Laides Gantoises de la grande salle moderne. L’un est une merveille d’observation physiognomonique, aux accens formes et sûrs ; les autres sont de la peinture la plus aiguisée, la plus facile, la plus solide et la plus transparente à la fois ; c’est fait tout d’une coulée, en pleine pâte (qu’on me pardonne ces inévitables termes techniques) ; c’est d’une générosité d’ampleur qui défie Frans Hals. Le ton juste s’y affirme du premier coup, admirablement étendu dans de belles souplesses,