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d’hommes au Bahr-el-Ghazal, tandis qu’il nous faut près d’un an pour y faire parvenir épuisés 200 soldats, qui donc aurait osé venir demander au pays le sacrifice inutile du sang et de l’argent par où l’on aurait pu essayer seulement de disputer ce territoire[1] ? » Le ministre des Affaires étrangères avait raison ; mais la situation va être demain exactement la même pour le Ouadaï ; nous aurons besoin, par la voie du Sénégal ou celle du Congo, sinon d’un an, du moins de huit à dix mois, pour y amener quelques centaines d’hommes. Avec le Transsaharien, nous pourrions, en trois ou quatre semaines, y jeter 10 000 ou 15 000 hommes. Est-il permis d’hésiter ? Le terrible aveu fait par M. Delcassé au Sénat ne doit-il pas ouvrir les yeux ? Ou nous perdrons la plupart de nos possessions du centre de l’Afrique, ou il faut que, sans aucun ajournement, nous construisions le Transsaharien ; c’est l’instrument stratégique indispensable ; c’est, de plus, un instrument économique qui promet d’être très efficace, et cela ne coûterait que 230 à 250 millions ! D’après les déclarations des ministres de la Guerre et de la Marine, les simples mesures de précaution prises au moment de Fachoda auront coûté une centaine de millions de francs ; c’est près de la moitié de ce qu’il faudrait pour construire le Transsaharien. A moins que la France ne se résigne à ne plus compter dans le monde, il faut qu’elle sache et veuille entreprendre cette œuvre, en réalité très modeste, malgré sa longueur, la seule œuvre, vraiment considérable par ses effets, que nous puissions faire encore ; elle nous vaudra, aux portes de la France, la possession paisible et l’exploitation fructueuse d’une immensité de territoire. La postérité flétrirait avec raison la génération qui, après avoir abandonné l’Egypte, n’aurait même pas su faire à temps le Transsaharien.


PAUL LEROY-BEAULIEU.

  1. Journal Officiel du 31 mai 1899, p. 689.