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voir, dans cette dernière affirmation, une demi-ingratitude à. l’égard de Massol, en même temps qu’une certaine désinvolture à l’endroit des maçons avancés en âge, qui prêtèrent serment, jadis, au Grand Architecte de l’Univers. Aujourd’hui, les nouveaux initiés ne connaissent plus d’autre architecte qu’Hiram : encore est-il mort, et lorsqu’on leur montre son cadavre fictif, ce n’est point pour qu’ils l’honorent, mais pour qu’ils l’enjambent.

De Massol à M. Hubbard, la jeune philosophie maçonnique semble avoir acquis, non point à vrai dire plus de précision, mais au moins plus de relief. Massol, qui travaillait avec des réminiscences positivistes, identifiait à peu près l’ « état métaphysique » et l’ « état théologique, » condamnait l’un et l’autre, et souhaitait l’avènement rapide « de l’état positif; » il aspirait, même, à seconder cette évolution naturelle des choses, et il patientait. M. Hubbard et les maçons d’aujourd’hui la veulent brusquer; ils justifient avec éclat ce qu’écrivait un jour un philosophe de valeur, très expert en positivisme, M. Raymond Thamin : « Le positivisme, observait-il, est un dogmatisme où les fanatiques de l’incrédulité trouvent à la fois des armes et des excuses… ; et voilà organisée la pire des intolérances[1]… » Ce n’est pas seulement dans les écrits de Massol ou de Littré, c’est un peu partout, que la maçonnerie cherche des armes et des excuses : elle introduit dans sa doctrine les ingrédiens philosophiques les plus hétérogènes; et M. Hubbard disant en 1897 : « Notre doctrine n’est pas un système, » avait plus raison qu’il ne le croyait.

Le maçon qui cherche la gloire de penseur et qui, dans sa loge, l’obtient en général sans trop de peine a l’habitude, dans les doctrines philosophiques qui l’entourent, de cueillir une idée négative avec deux ou trois vocables qui, par leur longueur ou leur sonorité, lui semblent avoir un aspect auguste. Au positivisme, par exemple, il emprunte la négation du transcendant et le mot d’altruisme : quant aux conceptions sociologiques de Comte, singulièrement hostiles, on le sait, à l’œuvre de la Révolution française, à l’individualisme de 1789 et à la fausse notion de la liberté, le maçon semble les ignorer. Au matérialisme évolutionniste, il emprunte la négation de l’âme ; mais songe-t-il à se demander comment les théories de la lutte pour la vie, édifiées par cette philosophie sur les ruines des doctrines archaïques,

  1. Thamin, Éducation et positivisme, p. 22-23. Paris, Alcan.