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M. Henri Brisson en donnait l’exemple lorsque, présidant en janvier 1898 la distribution des prix des cours commerciaux au Grand Orient, il remettait à un lauréat privilégié le beau livre historique de M. Emile Bourgeois : le Grand Siècle. « Livre magnifique, très intéressant, » déclarait M. Brisson ; et qui ne lui donnerait raison? Et, après avoir qualifié, l’on ne sait trop pourquoi, de « maître de philosophie, » le maître de conférences d’histoire de l’École normale supérieure, M. Brisson recommandait au pupille du Grand Orient de méditer spécialement cette phrase : « Le public, qui pardonna à Louis XIV toutes ses maîtresses, ne lui pardonna pas son confesseur[1]. » Là-dessus, tout l’auditoire applaudit, et emporta une idée singulièrement étroite de l’ouvrage de M. Emile Bourgeois. Ce petit trait, tombé de haut, est significatif : je ne sais quelle leçon morale le jeune lauréat en a conservée. Mais nous devons croire, — c’est M. Blatin qui l’a dit à l’Orphelinat maçonnique en 1895, — que « la Maçonnerie possède un grand idéal moral qui lui est propre. » Elle l’a élevé, tour à tour, en face de la monarchie, en face du catholicisme, en face des iniquités sociales : de là, la révolution politique qui s’est faite, la révolution religieuse qui se fait, la révolution sociale qui se fera . M. Blatin définit cet idéal par les mots de « solidarisme, altruisme, fraternité[2] ; » et si le vœu de la loge parisienne Osiris était exaucé, cette éducation serait donnée, dans chaque hameau de France, par un « conseiller du peuple, » sorte de fonctionnaire gratuit installé « parallèlement à la fonction sacerdotale[3]. »

Volontiers on soutiendrait, au Grand Orient, que la maçonnerie, tout ensemble immuable et progressive, a toujours eu la même philosophie et caressé le même idéal. Le Conseil de l’ordre, en 1897, dans une « déclaration » destinée à une grande publicité, proclama que la maçonnerie, appuyée sur la science, trouve dans les « rapports familiaux et sociaux » l’origine des « idées de devoir, de bien, de mal et de justice; » qu’elle s’efforce de « dégager la morale des superstitions religieuses et des théories de la métaphysique ; » et qu’ « à toutes les époques de son histoire la diffusion de la science et celle de la morale indépendante ont figuré en tête de son programme[4]. » Il est permis de

  1. C. R. G. O. 16 janv.-28 févr. 1898, p. 86-87.
  2. B. G. O., février 1895, p. 493-494.
  3. Revue maçonnique, juillet 1898, p. 131 et suiv.
  4. C. R. G. O.. 1er juillet-31 août 1897, p. 16-18.