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dès maintenant pourquoi il a déposé devant la Chambre une espèce de demande de poursuites contre le général Mercier. Il s’est appuyé pour cela sur un des passages de l’arrêt de cassation, celui qui se rapporte à une pièce communiquée incorrectement au conseil de guerre de 1894. Si M. Dupuy était encore ministre, nous lui demanderions qui était président du Conseil à cette époque. N’était-ce pas lui ? N’est-il pas, dès lors, solidaire du général Mercier ? N’est-il pas responsable de ce qui s’est passé ? Dira-t-il qu’il n’a pas tout su, ou même qu’il n’a rien su ; mais il aurait dû savoir ; il aurait dû exiger qu’on le tînt au courant de la conduite d’une affaire aussi grave ; et, à supposer que le ministre de la Guerre d’alors ait été coupable d’une action criminelle, le président du Conseil l’a été d’une négligence qui ne le serait guère moins. N’insistons pas : M. Dupuy n’est plus ministre. Cela le mettra plus à l’aise pour dénoncer son ancien collègue, s’il y tient encore, avec plus de convenance et de liberté qu’auparavant.

Chose extraordinaire, la Chambre, pour une fois, s’est montrée plus prudente et plus sage que le Gouvernement : elle a refusé de le suivre dans la voie imprudente où il voulait l’engager. Au surplus, voici les faits. M. le Garde des sceaux a écrit à M. le président Deschanel une lettre pour lui faire part, comme si la Chambre l’ignorait, de la partie de l’arrêt de la Cour qui semblait s’appliquer au ministre de la Guerre de 1894. Il y avait là une imitation indirecte, mais pourtant formelle, à mettre en accusation M. le général Mercier devant la Haute Cour, c’est-à-dire devant le Sénat. Le gouvernement avait-il le devoir de faire cette communication à la Chambre ? Non, sans nul doute. En avait-il le droit ? On peut le contester. M. Ribot l’a fait. Il a soutenu que l’initiative en cette matière appartenait à la Chambre seule et que c’était là une de ses prérogatives. Les précédens historiques sont, croyons-nous, en faveur de cette thèse. En tout cas, elle semblait de nature à plaire au gouvernement, qui a presque toujours mauvais air à mettre criminellement en cause un de ses prédécesseurs. L’intervention de M. Ribot a été utile ; elle a donné le temps de réfléchir. Un membre de la gauche socialiste, M. Viviani, a eu beau reprendre à son compte le projet de mise en accusation de M. le général Mercier, la Chambre était avertie ; elle s’était ressaisie. Deux propositions se sont alors trouvées en présence : l’une, de M. Viviani, demandait pour le lendemain le renvoi de son projet aux bureaux, qui nommeraient pour l’examiner une commission de 33 membres ; l’autre, de M. Pourquery de Boisserin, était ainsi conçue : « La Chambre,