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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 juin.


Le Ministère est renversé et nous en attendons un autre. Ceci n’est qu’un incident. Personne ne regrette M. Dupuy. Après avoir un moment amusé la galerie par la légèreté inattendue de ses exercices de voltige sur la corde raide, il avait fini par lasser tout le monde. La situation est trop grave pour n’être pas prise très au sérieux. Au milieu de la crise morale et matérielle qu’il traverse, le pays avait besoin d’avoir à sa tête un groupe d’hommes avisés et résolus, ayant quelque prévision dans l’esprit et quelque résolution dans le caractère : nous avons eu un homme vivant au jour le jour, sans idée fixe, sans principe directeur, sans haute intelligence politique et surtout sans, prévoyance, qui cherchait le vent et y tournait, et cela dans un moment où tous les vents soufflaient à la fois. Il est tombé, cela devait arriver ; mais il l’a fait de la manière la plus maladroite pour lui et la plus malencontreuse pour nous. Pourquoi sa chute ne s’est-elle pas produite huit jours plus tôt ? Il est tombé sous les coups des socialistes ; ce sont les modérés qui auraient dû lui demander des comptes. Il est tombé le lendemain des courses de Longchamps, accusé par les socialistes de n’avoir pas suffisamment refréné les ardeurs de la police ; il aurait dû succomber sous les coups des modérés, pour n’avoir rien compris à la situation générale, et avoir compromis police et gouvernement dans une échauffourée un peu ridicule. Il a donné rendez-vous aux socialistes à Longchamps : ce sont eux qui, le lendemain, ont sonné son glas funèbre. Quelle leçon ! D’autres en profiteront-ils ?

Mais, pour la bien comprendre, il faut revenir un peu en arrière. Le seul moyen pour nous de rendre compte des événemens de toute cette quinzaine, et d’une quinzaine remplie, est de suivre autant que possible l’ordre chronologique. Tout s’y tient d’ailleurs, s’y suit et s’y succède logiquement.

L’arrêt rendu par la Cour de cassation dans l’affaire Dreyfus a été le point de départ de tout ce désordre. Avant qu’il fût rendu, tout le