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dissertation de Mrs Norham pour lui demander quelques renseignemens sur l’objet et le caractère de l’œuvre de Startfield Hall. — Êtes-vous de la presse ? — fit la dame d’un air dédaigneux. Elle changea de ton, quand Lacy lui eut répondu qu’il n’était pas de la presse, et que c’était en capitaliste, en possesseur de terrains, qu’il s’intéressait à ce genre d’entreprises. « Le riche était un des objets les plus constans de la satire de Mrs Norham : mais à la pensée que cet inconnu pouvait être riche, elle radoucit aussitôt ses manières. » Et elle expliqua que le but de la société, « — mon but, reprit-elle, car le mouvement n’est en réalité sorti que de moi, bien que j’aie trouvé pour l’encourager des cerveaux plus puissans que le mien, » — que son but était « d’élever, non par des moyens économiques, mais par la civilisation, par la pensée, par la variété et la multitude des connaissances, cette grande masse aveugle, sourde, misérable, à qui le monde devait toute sa grandeur, toute sa richesse, tout son luxe et tout son bien-être. »

Le dîner touchait à sa fin, lorsque deux nouveaux personnages furent introduits dans la salle à manger. Tous deux étaient des membres influens de la société de Startfield Hall : ils venaient régler avec M. Bousefield et Mrs Norham l’ordre des discours, et discuter les sujets qui y seraient traités. Mrs Norham demanda à parler la première : elle dit qu’elle resterait « générale, » et s’attacherait surtout à exposer les principes, l’esprit de l’œuvre. Un des deux nouveaux venus, l’élégant Poulton, ancien élève de Cambridge, déclara qu’il parlerait après elle : il prendrait pour sujet le militarisme, et montrerait que la guerre était essentiellement « un jeu d’aristocrates. » Puis viendrait le tour de son compagnon Tibbits, inventeur méconnu, qui, poussant l’attaque plus à fond, démontrerait que l’existence des classes aristocratiques est le seul véritable obstacle au progrès de l’humanité. M. Bousefield demanda à Mrs Norham si elle ne croyait pas qu’on ferait bien de donner la parole à une ou deux dames : « Non, pas aujourd’hui ! — répondit vivement la romancière. — Dans un an ou deux, quand le caractère de toutes les femmes aura été transformé, alors, oui, nos principaux orateurs seront sûrement des femmes. Mais à présent, sauf dans quelques cas exceptionnels, les femmes ont une tendance à divaguer, à perdre de vue l’objet précis où elles devraient tendre. Et puis, tous les points vitaux qui peuvent intéresser la nature féminine, je les aurai touchés moi-même dans mon discours... »

Elle parlait ainsi, lorsque la porte s’ouvrit, et qu’entra une jeune femme fort agréable et mise avec un goût parfait, à cela près qu’elle