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partant des affaires compliquées et qu’il fallait arranger sans précipitation. Puis elle eut sa fille à marier. Puis elle eut ses rhumatismes à soigner. Balzac, dans son impatience, l’avait rejointe à Wierzchownia. Sa santé, déjà très altérée, souffrait beaucoup de l’âpreté du climat. Il était frappé à mort. Il devait revenir en France. Il ne voulait pas revenir seul. Enfin Mme Hanska se décida. Le mariage eut lieu dans un village de Russie. Les nouveaux mariés arrivèrent à Paris et vinrent de nuit frapper à la porte de l’habitation que Balzac avait fait préparer luxueusement. Ils la voyaient tout illuminée ; mais ils eurent beau sonner, cogner, appeler, ils n’obtinrent pas de réponse. Le domestique chargé de les attendre avait été subitement atteint d’aliénation mentale. Mauvais présage pour deux époux également superstitieux ! Le présage se réalisa. Le bonheur ne fut pas aussi complet que dix-sept ans de fidélité l’eussent mérité. De près, l’intimité se trouva être moins douce qu’on ne l’avait imaginé de loin. Balzac mourut au bout de quatre mois. Il n’avait auprès de lui qu’une vieille femme qui était sa mère, et une garde. Mme de Balzac, devenue veuve, entama une correspondance avec un autre romancier. L’habitude était prise. La vocation était décidément irrésistible.

Vers le même temps où l’auteur de la Comédie humaine épousait Mme Hanska, Jules Michelet avait épousé Mlle Athénaïs Mialaret sous les auspices de Béranger. « Le Collège de France, en ses trois professeurs, l’a entourée pendant la cérémonie. Béranger l’avait à son bras, représentant son père, comme il est le nôtre à tous. » Les lettres écrites par Michelet pendant les six mois qui précédèrent cette union, à laquelle on sait qu’il dut le bonheur des vingt-cinq dernières années de sa vie, viennent d’être données en supplément à l’édition définitive de ses œuvres. S’il y a des lettres qu’il semblât convenable de ne pas publier, ce sont bien celles-là. Il y a de l’indiscrétion à étaler devant le public l’intimité du foyer domestique ou ce qui a pu la préparer. Ajoutez que la situation de Michelet qui, à cinquante ans, épouse une jeune fille de vingt ans est un peu spéciale. Ajoutez que Michelet, s’adressant à sa fiancée tantôt comme à sa femme et tantôt comme à sa fille, cette confusion a pour nous je ne sais quoi de gênant. Tout au moins aurait-on pu supprimer certains passages où l’on voit que le culte passionné de Michelet ne s’adressait pas seulement aux perfections morales de celle qu’il aimait. Nous nous sommes, pour notre part, élevé maintes fois contre ce genre de publications posthumes et trop intimes. Mais il se trouve que Michelet avait lui-même souhaité que ces lettres fussent livrées au public. Lorsqu’elle en préparait l’édition,