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REVUE LITTÉRAIRE

AMOURS DE TÊTE[1]


Ce que j’aimais en toi, c’était mon propre rêve.


Ce vers explique à merveille le phénomène qui se produit fréquemment chez les hommes qui vivent beaucoup par le cerveau. Ils en viennent très vite à se créer un monde imaginaire dont les couleurs sont si intenses qu’elles les empêchent d’apercevoir la teinte de la réalité. Ils s’y donnent un rôle à eux-mêmes et se composent un personnage où leurs plus intimes amis auraient peine à les reconnaître. Parmi ces rêves qui peuplent leur esprit, il en est un surtout dont ils s’enchantent, le rêve de cet amour idéal dont les poètes, à travers les temps, ont tissé l’étoffe impalpable et brillante. Ils l’ont vu se lever des livres sur lesquels s’est penchée leur méditation. Ils l’ont recueilli tout frémissant de soupirs, tout vibrant d’une musique d’hymnes enthousiastes. Ils y ont ajouté un frisson venu de leur propre sensibilité. Cet amour, dont leur tête est enivrée, descend peu à peu dans leur cœur, amour sans objet encore, mais qui déjà gonfle leur poitrine et fait monter à leurs lèvres des paroles brûlantes qui ne vont à aucune adresse. Ne pourront-ils faire hommage de cette tendresse passionnée à aucune créature vivante ? La femme digne de toute cette ferveur n’existe-t-elle pas, et l’auront-ils appelée de tant de vœux sans la voir venir ? Elle

  1. Balzac, Lettres à l’Étrangère, 1 vol. in-8o, Calmann-Lévy. — Vicomte de Spoelberch de Lovenjoul : Un roman d’amour (C. Lévy). — Edmond Biré : Honoré de Balzac (Champion). — Dr Cabanès : Balzac ignoré (Charles). — Michelet. Lettres à Mlle Mialaret, 1 vol. in-8o (Flammarion).