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Kotuko et la jeune fille se blottirent en hâte dans leur hutte. Sans doute, si Quiquern en eût voulu à leurs personnes, il eût pu la mettre en miettes sur leurs têtes. Mais l’idée seule d’un pied de neige entre eux et l’obscurité inquiétante leur était d’un grand réconfort. La tempête éclata dans un cri strident du vent, pareil au sifflet d’un train, et elle tint bon trois jours et trois nuits, sans varier d’un point de compas, sans mollir une minute. Ils alimentèrent la lampe de pierre entre leurs genoux, grignotèrent la chair de phoque tiédie, et regardèrent la suie noire s’amasser au plafond, pendant soixante-douze interminables heures. La jeune fille fit le compte des vivres dans le traîneau : il n’en restait plus que pour la consommation de deux jours, et Kotuko examina les pointes de fer et les attaches en nerf de renne de son harpon, de sa lance à phoques et de son javelot pour les oiseaux. Il n’y avait pas autre chose à faire.

— Nous irons bientôt chez Sedna... très tôt, murmura la jeune fille. Dans trois jours, nous nous coucherons et nous serons partis. Ta tornaque ne fera-t-elle rien pour nous ? Chante-lui une chanson d’Angekok pour la faire venir,

Il se mit à chanter, attaquant très haut sur le ton de hurlement des chansons magiques, et l’ouragan tomba lentement. Au milieu de la chanson, la jeune fille tressaillit, puis posa sa main enveloppée d’une mitaine, et ensuite la tête, sur le sol de glace de la hutte. Kotuko suivit son exemple, et tous deux restèrent agenouillés, les yeux dans les yeux, chaque nerf tendu à se rompre, écoutant. Il détacha une tranche mince du lacet en fanon de baleine qui fermait un piège à oiseaux posé sur le traîneau, et, après l’avoir redressé, le fixa tout droit dans un petit trou à même la glace, en l’appuyant du bout de sa mitaine. C’était presque aussi délicatement ajusté que l’aiguille d’une boussole, et maintenant, au lieu d’écouter, ils regardaient. La fine tige trembla un instant, — le plus léger frémissement du monde, — puis vibra sans interruption pendant quelques secondes, reprit son immobilité, et se mit à vibrer de nouveau en s’inclinant cette fois vers un autre point du compas.

— Trop tôt ! dit Kotuko. Quelque grosse banquise se sera disloquée très loin d’ici.

La jeune fille montra du doigt la baguette, et secoua la tête.

— C’est la grande débâcle, dit-elle. Écoute la glace au-dessous, elle cogne.