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talons. Il osait même, — ce qui, pour un chien de traîneau, est le dernier mot de la bravoure, — il osait même tenir tête au loup décharné de l’Arctique, que tous les chiens du Nord, en règle générale, craignent entre tout ce qui court sur la neige. Lui et son maître, — ils ne considéraient pas les chiens de l’équipage ordinaire comme une compagnie digne d’eux, — chassaient ensemble, jour sur jour, nuit sur nuit, le jeune garçon sous ses fourrures, et la bête jaune avec son œil étroit, ses crocs blancs, féroce sous ses poils en désordre.

La seule occupation d’un Inuit est de se procurer des vivres et des peaux pour lui et les siens. Les femmes transforment les peaux en vêtemens, et, à l’occasion, aident à prendre au piège le petit gibier ; mais le soin d’assurer le gros de la nourriture, — et ils mangent énormément, — incombe aux hommes. Si la provision vient à manquer, il n’y a là-haut personne à qui acheter, mendier ou emprunter. Il ne reste qu’à mourir.

Mais un Inuit ne songe pas à de tels malheurs à moins d’y être forcé. Kadlu, Kotuko, Amoraq, et le petit gars qui jouait des pieds dans le capuchon de fourrure et mâchait des morceaux de graisse toute la journée, vivaient heureux ensemble comme aucune famille du monde. Ils appartenaient à une race très douce, — un Inuit se met rarement en colère et presque jamais ne frappe un enfant, — une race qui ne savait pas au juste ce que pouvait signifier le mot « mentir » et encore moins le mot « voler. » Ils se contentaient de harponner leur vie au cœur du froid cruel et sans espoir, d’échanger leurs bons sourires huileux, de raconter le soir d’étranges contes de fantômes et de fées, de manger à satiété, et. de chanter l’interminable chanson des femmes : Amna aya, aya amna, ah ! ah ! le long des longues journées sous la lumière de la lampe, en raccommodant leurs vêtemens et leurs équipemens de chasse.

Or, un terrible hiver, tout les trahit. Les Tununirmiut, revenus de leur pêche annuelle du saumon, construisirent leurs maisons sur la glace nouvelle, au nord de l’île de Bylot, prêts à marcher au phoque dès que la mer gèlerait. Mais l’automne fut précoce et sauvage. Tout septembre durant, des bourrasques continuelles soulevèrent la glace unie, que les phoques préfèrent, aux endroits où elle ne mesurait que quatre ou cinq pieds d’épaisseur, et la rejetèrent vers l’intérieur, amoncelant ainsi, sur vingt milles de large environ, une grande barrière de blocs déchiquetés