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à huit milles de là, et venait de rentrer avec trois gros animaux. A mi-chemin du couloir ou tunnel de neige, long et has, qui conduisait à la porte intérieure de la maison, on pouvait entendre un concert de jappemens et d’aboiemens : c’étaient les chiens d’attelage de son traîneau qui, après la besogne du jour, se disputaient les places chaudes. Lorsque les aboiemens devinrent trop forts, Kotuko roula nonchalamment à bas du banc de repos, et il ramassa un fouet formé d’une souple poignée de baleines longues de dix-huit pouces et d’une courroie de vingt-cinq pieds lourdement tressée. Il plongea dans le couloir, où le vacarme devint tel qu’on eût dit que les chiens le dévoraient tout vivant ; mais ce n’était rien de plus que leur bénédicité coutumier avant les repas. Lorsqu’il sortit, en rampant, à l’autre extrémité, une demi-douzaine de têtes fourrées le suivirent des yeux tandis qu’il se dirigeait vers une sorte de potence faite d’une mâchoire de baleine, où la viande des chiens était accrochée. Il fendit la viande gelée en gros morceaux à l’aide d’un harpon muni d’un large fer, et il attendit, le fouet d’une main et la viande de l’autre. Chaque animal était appelé par son nom, les plus faibles d’abord, et malheur au chien qui devançait son tour, car la mèche effilée projetait l’éclair de sa lanière, et faisait voler un pouce, ou peu s’en faut, de poil et de peau. Chaque bête se contentait de grogner, happait, s’étranglait en avalant sa part, et s’en retournait à la hâte dans le couloir, tandis que le jeune garçon, debout sur la neige dans l’incendie des Lueurs Boréales, distribuait sa justice. Le dernier à servir fut le gros conducteur noir de l’attelage, qui maintenait l’ordre quand les chiens étaient sous le harnais, et Kotuko lui donna double ration de viande et un coup de fouet en surplus.

— Ah ! — dit Kotuko en enroulant le fouet, — j’en ai, sur la lampe, un petit qui hurlera fort. Sarpok ! Allez coucher !

Il rentra en rampant par-dessus le pêle-mêle des chiens, secoua de ses fourrures la poussière de neige avec le bâton de baleine qu’Amoraq tenait pendu près de la porte, tapota la peau qui doublait le toit, pour en secouer les glaçons qui auraient pu tomber du dôme de neige, et se roula en boule sur le banc. Les chiens, dans le couloir, ronflaient et geignaient dans leur sommeil, le dernier né d’Amoraq jouait des pieds, toussait et gargouillait au fond de l’épais capuchon de fourrure maternel, et la mère du petit chien nouvellement baptisé reposait à côté de Kotuko, les