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ceux qui, par hasard, seraient récalcitrans à entrer dans son sein. Pour vaincre leurs résistances, elle n’a qu’à les laisser livrés à eux-mêmes ; sevrés de tous rapports avec les autres maisons semblables, ils sont abandonnés à leurs propres forces en face du public, c’est-à-dire des associations de nature différente qui forment la société chinoise ; il faudrait pour résister à cette mise à l’index une énergie remarquable et des circonstances particulièrement favorables. Le boycottage est également employé contre un membre que l’on veut chasser de la corporation et faire disparaître de la place ; un autre moyen moins extrême usité contre les délinquans ordinaires, c’est de les inviter dans une maison de thé et de les y garder à vue jusqu’à soumission ; en fait, personne ne trouve communément avantage à entamer de pareilles luttes. Parfois le commerçant fait preuve d’une grande énergie contre la corporation ; mais c’est alors pour en forcer l’entrée, pour se soumettre à la règle habituelle ; pareil cas se présente lorsqu’un homme d’une province se trouve en face de gens d’une autre province détenant le monopole du même négoce qu’il veut établir ; alors la lutte est vive, elle va jusqu’aux rixes, au bris de devanture, au pillage de marchandises ; peut-être, bien rarement d’ailleurs, l’isolé finira-t-il, à force de patience, d’adresse, et pourvu qu’il ne manque pas de ressources, par se faire sa place. Il est soutenu, dans ce cas, par le respect même de la règle à laquelle il veut se soumettre, et aussi par les défauts intimes communs à presque toutes les associations chinoises.

Celles-ci, en effet, par suite de leur origine populaire, instinctive et traditionnelle, n’ont pas une constitution précise. On y délibère, mais le vote où les voix se comptent n’y est pas connu : il n’est donc pas question de minorité ou de majorité ; pour qu’une décision soit prise, il faut la quasi-unanimité. On arrive à la réunir plus facilement qu’on ne pourrait croire, car il y a toujours un petit nombre de personnages influens, capables de se mettre d’accord et qui entraînent tous les autres ; mais il va de soi que pour des questions personnelles, pour repousser l’adhésion d’un nouveau membre désireux de se soumettre aux coutumes, l’accord est plus difficile à obtenir. Le désaccord finit par profiter à l’étranger, car il ne s’agit pas de voter son admission en forme, mais de tolérer son commerce ; les rapports d’affaires s’établissent peu à peu, et finalement, il est membre associé par habitude, par prescription, pourrait-on dire ; la patience sans égale du Chinois