Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/852

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manches, et enfin une pèlerine, le ma koa eul, que l’on met surtout en tenue de cérémonie ou pour sortir en hiver ; la petite calotte de satin noir à bouton rouge complète l’habillement, sauf pendant les chaleurs de l’été. L’uniformité du costume correspond à celle de la société, où il n’y a pas de castes et à peine de classes.

Les manières et le langage ne sont pas moins unis ; patrons et commis, commis entre eux s’abordent avec ces inclinaisons peu accentuées, ces saluts de mains de la politesse quotidienne ; ils se parlent dans ce style semi-familier, semi-respectueux, habituel à toutes les conversations entre amis ou entre gens se connaissant à peine, pourvu que des relations rituelles ne soient pas en jeu, des rapports hiérarchiques pas en question. Pas de génuflexions, pas de ces formules d’une humilité excessive qui donnent l’idée du servage ou de la servilité. À l’égard de l’acheteur, on use de la même politesse moyenne ; encore, ici, faut-il faire quelques distinctions. L’acheteur sans importance, qui vient en passant, est traité poliment, mais sans prévenance ; on le reçoit dans la première pièce, on le sert et on l’expédie. Pour le client habituel, pour le personnage de marque, on use de déférence ; on l’introduit dans une des salles du fond, on le fait asseoir à la place d’honneur auprès d’une table, on lui sert du thé, on lui apporte du feu pour sa pipe ; un ou deux des premiers commis causent avec lui et n’oublient pas de débuter par ces formules d’urbanité qui sont dues même à un inférieur à qui l’on veut témoigner quelque estime ; ils s’informent de ses ordres et s’empressent de faire apporter ce qu’il désire ; ils deviennent prévenans, lui montrent les nouveautés ou les raretés que l’on a en magasin ; ils font l’article, ce qu’ils dédaignent avec l’acheteur de passage. Lorsque le ta jen[1] s’en va, on le reconduit jusqu’à sa chaise, comme un homme bien élevé reconduit un visiteur, et on lui adresse les formules d’adieu qui conviennent à son rang, avec cette parfaite courtoisie, parfois un peu humble, où celui qui parle n’oublie cependant jamais qu’il est un homme et de même espèce que son interlocuteur.

Ces patrons et ces commis, d’extérieur si semblable, sont unis par la communauté de la vie, Il est de règle que tous soient nourris par la maison ; à cet effet, toute maison de commerce a

  1. Grand homme, titre d’un haut personnage officiel, Excellence.